La symphonie de la relance. Quelle issue à la crise ?

La symphonie de la relance. Quelle issue à la crise ?

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Par Abdelali Doumou – Economiste et responsable Politique

Le débat sur la crise de la pandémie au Maroc est dominé, comme à l’accoutumée, par des attitudes euphoriques en faveur d’une relance économique faussement volontariste. Encore une nouvelle fois, les opérateurs économiques, les économistes, les responsablespublics s’érigent en hauts parleurs de la symphonie de la relance.

Pas moins de 100 milliards de dirhams sont exigés par le plan de relance des opérateurs privés pour renflouer le cycle des affaires. Certains économistes qui ont présenté des propositions pertinentes de relance insistent sur les deux leviers : l’Etat à travers l’investissement public et le financement bancaire pour renflouer la trésorerie des entreprises.

La loi rectificative des finances 2020 vient consacrer cette plaidoirie, certes avec prudence, mais en misant, comme d’habitude, sur un hypothétique investissement public (182 milliards de dirhams) que l’Etat n’arrive pas à optimiser faute de réformes institutionnelles.

La solution ne peut être quantitative car le Maroc ne peut réinventer les acteurs qui vont assurer la relance.

Or, le problème structurel de notre économie est plus lié au déficit de performance des opérateurs publics et privés qu’à des variables quantitatives d’injection de nouvelles ressources financières.

Au cœur d’un déconfinement dont les incidences demeurent incertaines sur le plan sanitaire, c’est la symphonie de la relance qui domine les esprits. Mais le grand paradoxe, plus aucun mot sur les impasses de notre mode de développement, pourtant d’une actualité criante à la veille de la pandémie.

Comme si on avait oublié que la TPE et la PME peinaient à survivre car elles avaient des difficultés d’accès aux marchés et au système de financement. On a également vite oublié que le grand capital gagnait beaucoup d’argent mais n’arrivait pas à créer suffisamment de croissance et d’emplois en raison des larges privilèges que lui garantit une économie de rente qui le nourrit et l’empêche d’être innovant.

De nouveau, on s’est remis à dénoncer « le délire du néo-libéralisme »et à prôner un retour à l’Etat providence pour « réhabiliter les services publics » tout en ignorant que la dépense publique a un faible rendement et est mal orientée, et ceci malgré l’essor vertigineux de l’investissement public (17% en 2020).

Certains s’attèlent à trouver les mécanismes à travers lesquels on peut augmenter le budget du gouvernement de 70 à à 100 milliards dirhams (budgets des différents ministères), alors que le problème dans les faits réside dans le faible taux d’exécution (qui oscille entre 50 et 60%) de près de 200 milliards de dirhams alloués annuellement à l’Etat en tant que secteur public. Le comble c’est que même pour la moitié exécutée, l’Etat dépense mal en raison d’un déficit de convergence, de ciblage social et territorial de ses actions.

Aussi les thérapies de relance économique proposées, aujourd’hui au Maroc, risquent-elles de ne pas tenir compte, suffisamment, de la nature inédite de la crise actuelle et des obstacles structurels qui limitent les aptitudes productives de l’économie et les performances des opérateurs publics et privés.

Dans ce contexte, de telles propositions de relance largement empreintes d’un « mimétisme doctrinal » envahissant peuvent s’avérer fort préjudiciables car inadaptées aux exigences de l’économie nationale.

Une crise inédite

La crise actuelle qui affecte le Maroc, à l’instar de l’ensemble des pays du monde, n’est ni une crise classique de l’offre, ni celle de la demande. C’est une crise totale marquée par l’arrêt brutal des flux mondiaux de biens et services, des activités de production et d’échange. Cet arrêt des flux et de la production qui est général est plus ample dans son impact que lors des crises précédentes.

Une crise à l’origine d’une nouvelle compétition entre les pays en développement se profile à l’horizon

C’est une crise, ensuite, qui met en cause la mondialisation, du moins dans ses formes extensives et globales, au profit d’une fragmentation régionale fondée sur la proximité. Désormais le développement du capital tiendrait plus compte de la proximité des sites de production. Une tendance qui favoriserait la relocalisation de la production et la multi- polarisation du système mondial autour notamment des Etats Unis, de la Chine et de l’Europe. Le degré de compétitivité de ces différents pôles dépendrait de leur capacité à amarrer les zones géographiques à proximité(l’Amérique Latine, l’Asie et l’Afrique) dans une dynamique de coopération régionale différente de celle qui a sévi jusqu’à présent. L’économie mondiale aurait plus besoin, à l’avenir, et afin de garantir une croissance économique mieux répartie, d’une refondation sur de nouvelles bases quantitatives et qualitatives qui instaureraient plus d’équilibre dans les relations économiques et financières entre le Nord et le Sud. Dans cette perspective, une nouvelle compétition entre les pays en développement se profile à l’horizon et le Maroc aurait une carte à jouer sous réserve de réussir ses réformes structurelles en garantissant l’égalité des chances au grand potentiel de qualifications dont il dispose.

Une crise qui aggrave la mise en cause du système de démocratie représentative

De plus, il s’agit d’une crise qui a révélé les dégâts du déficit de souveraineté des économies nationales au profit d’une dépendance mondiale aux plans sanitaire, technologique, alimentaire etc.

En outre, c’est une crise qui aggrave la mise en cause du système de démocratie représentative à travers l’accroissement de la contestation sociale, le primat des réseaux sociaux qui impactent, désormais, la décision politique au dépend des structures de médiation traditionnelles (partis politiques, syndicats etc.).

Une crise qui creuse davantage les inégalités sociales et territoriales. 

 Enfin, c’est une crise qui est en train de creuser davantage les inégalités sociales et territoriales. Dans son dernier rapport, le PNUD (Mai 2020) révèle que le recul des indicateurs de développement humain que cette crise a généré en trois mois a engendré une perte de six ans de développement humain. Deux indicateurs sont significatifs de ce creusement des inégalités : – une chute de 4% du revenu par habitant au niveau mondial, ce qui témoigne du plus grand plongeon enregistré depuis la grande dépression de 1929 ; – le 15 Avril 2020, 1,7 milliards de jeunes de 5 à 17 ans étaientdéscolarisés en raison de l’absence de moyens et d’infrastructures, dont 86% dans les pays pauvres et 20%dans les pays riches.

Ainsi face à cette crise, le Maroc est, à l’instar des autres pays du monde, en guerre contre un ennemi dévastateur et imprévisible quiest en train d’attaquer les fondements de l’édifice économiqueetsocial. Aussi, au stade actuel et à court terme, la symphonie de la relance économique appuyée sur un rebond rapide vers la normalité semble-t-elle sous estimer le degré de gravité de la situation mondiale.

Comme on est en guerre, la relance de l’économie marocaine est désormais un objectif de moyen et long terme dont la réalisation nécessiterait de passer par une période de survie et de convalescence. Même dans des économies plus performantes del’Union européenne, comme l’Allemagne et la France, les perspectives annoncées par Bruxelles augurent d’un retour au niveau de croissance enregistré en 2019 au début de 2022.

Ainsi face à cette crise, le Maroc est, à l’instar des autres pays du monde, en guerre contre un ennemi dévastateur et imprévisible qui est en train d’attaquer les fondements de l’édifice économique et social. Aussi, au stade actuel et à court terme, la symphonie de la relance économique appuyée sur un rebond rapide vers la normalité semble-t-elle sous estimer le degré de gravité de la situation mondiale.

la mise en place immédiate d’un plan de relance, serait un leurre!

Comme on est en guerre, la relance de l’économie marocaine est désormais un objectif de moyen et long terme dont la réalisation nécessiterait de passer par une période de survie et de convalescence. Même dans des économies plus performantes de l’Union européenne, comme l’Allemagne et la France, les perspectives annoncées par Bruxelles augurent d’un retour au niveau de croissance enregistré en 2019 au début de 2022.

C’est pourquoi, en raison de la nature des structures productives de l’économie marocaine, du faible rendement de la dépense publique et de la chute vertigineuse de la demande étrangère adressée au Maroc, la période de convalescence risque d’être beaucoup plus longue et la mise en place immédiate d’un plan de relance, serait un leurre qui viserait plus à renflouer les poches du grand capital plutôt que l’économie nationale.

Quelle thérapie optimise la marge de manœuvre et garantit l’effectivité ?

La réponse à cette grande question implique l’élucidation préalable de deux problématiques :

– la première consiste à mesurer la marge de manœuvre offerte au Maroc en matière de mobilisation des ressources financières ; – la deuxième concerne la définition de la durée de cohabitation avec le virus jusqu’à la découverte d’un vaccin ou d’un traitement efficace.

Deux objectifs difficiles à atteindre à court terme.

Si la définition de la durée de cohabitation avec le virus dépend de l’évolution de la recherche scientifique dans le domaine médical, la mesure de la marge de manœuvre offerte à l’Etat pour la mobilisation des ressources financières nécessaires dépend de plusieurs variables aussi problématiques :

-A quand le redressement des recettes fiscales ?

-Quand est ce qu’on peut anticiper le retour de la confiance qui permet l’attrait des investissements directs étrangers et l’afflux des touristes ?

– Comment relancer les exportations et les transferts des RME alors que les perspectives économiques de l’UnionEuropéenne révèlent un processus de reprise lent et difficile ?

–  Quelle est la capacité actuelle d’endettement du Maroc ?

Ces différentes interrogations montrent que la mobilisation des moyens financiers par l’Etat ne peut reposer dans l’immédiat que sur sa capacité limitée à recourir à l’endettement extérieur, la disponibilité des autres ressources financière nécessite une période de convalescence, au Maroc et dans le monde, qui risque d’être relativement longue.

Des considérations qui militent pour une optimisation de la marge de manœuvre offerte en optant pour une stratégie de lutte contre les effets de la crise en deux séquences bien distinctes.

La première séquence serait un un Plan de sauvetage de deux ans et qui vise à:

  1. Assurer la survie des pans du système productif fortement affectés par la crise d’une part et le soutien des ménages victimes des pertes d’emplois du fait de la pandémie de l’autre ;
  2. tout en essayant de mettre en place un programme de sauvetage généralisé à l’ensemble des entreprises qui souffrent de la crise, il convient de focaliser, au cours d’une première période, sur les mesures de soutien en faveur des secteurs dont la production est destinée à la demande locale (l’agro- alimentaire, le textile, la mécanique, le tourisme, le transport, la restauration, le bâtiment-travaux publics etc.) ;
  3. Réduire les importations par la mise en place d’un système intelligent de protection pour une certaine période et par le développement de la culture du « consommer Marocain » ;
  4. Institutionnaliser le Revenu Universel auprès des ménages démunis sur la base du registre social élaboré à cette fin ;
  5. Généraliser la couverture sociale ;
  6. accorder une attention réelle et sincère au monde rural où vit encore près de la moitié de la population menacée aujourd’hui dans sa survie en raison d’une sécheresse aigûe aggravée par les effets de la pandémie notamment sur les activités d’élevage (le prix de l’orge atteint 5 dirhams le Kg et les puits d’eau potable ont perdu 30 mètres en un an)

La deuxième séquence reposerait sur l’accompagnement 

L’efficacité de ces mesures reposerait sur la nécessité de les accompagner par les réformes structurelles qu’implique la mise en place d’un nouveau mode de développement afin de sortir des impasses économiques et sociales qui empêchent le Maroc d’émerger.

La complexité de la situation actuelle du Maroc réside dans le fait que la réduction des effets de la crise actuelle dépend de la levée d’entraves structurelles et non d’une simple injection de ressources financières au moyen d’une loi de finances rectificative.

En effet, l’effectivité de toute politique économique dépend, dans ce contexte, de l’amélioration qualitative des performances des opérateurs publics et privés (Etat et système productif), et non d’une simple injection des ressources financières additionnelles qui, de surcroît, a été notoire au cours des deux dernières décennies(coexistence d’un taux d’investissements et d’un ICOR des plus élevés au monde).

C’est le démantèlement du système de rente et la promotion de l’économie de marché, l’accroissement de la compétitivité des secteurs productifs, notamment industriel, l’amélioration du rendement économique et social de la dépense publique à travers un nouveau redéploiement territorial du secteur public qui peuvent favoriser une reprise économique lente et difficile mais réelle.

A cet égard, l’histoire nous enseigne que ce sont les périodes des grandes crises qui ont généré les grandes réformes et le progrès.

C’est à de telles conditions que progressivement et parallèlement à la reprise économique mondiale et nationale (minimum deux ans), que la mise en place d’un plan de relance (de cinq ans) peut être effective en générant une croissance importante et inclusive.

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