A dire vrai, en rencontrant Rabie Moubarak c’était une rencontre avec un romancier. Un nom évocateur pour la mémoire d’un jeune lecteur que j’étais. Rufkat Assilah wal Kamar. C’était dans le programme. De « beaux » programmes que nous avalions, parce que « ça » changeait par rapport à d’autres matières. Peu étaient celles et ceux qui n’appréciaient pas ces « rivages », ces « virées ». Dont Al Ayyam et autres Lam3allam Ali, sans citer d’autres titres en langue française.
Une chance. Des découvertes. Des trouvailles. Des marqueurs, pour reprendre une formulation discursive d’un ami. Moubarak, M’barek comme il préfère être appelé, faisait partie de ces noms rencontrés. Attayyiboun, c’est aussi lui. Il y en a davantage, où on compte d’autres romans, plus d’une vingtaine d’œuvres pour enfants ou encore une collection d’essais sur la psychologie des enfants et on en passe !
Ceci dit, pour plusieurs générations, c’était à coup sûr Rufkat Assilah wal Kamar (1976) qui ressurgit à la surface de la mémoire. Ce n’était pas son premier certes, mais pour certains jeunes ce fut l’un des premiers ‘contacts’ avec un univers romanesque aux couleurs locales.
Au fil des années, on se rendit compte que, nonobstant une certaine linéarité du récit, cette œuvre a ouvert l’appétit pour d’autres.
Peu importe, après coup, la manière dont ce roman nous a été servi, l’envie de le revisiter est devenue un quasi-impératif. Quelque part, on revoit le regard qu’on portait sur cette séquence.
Quand M’barek Rabie en parle en 2021, on sent le temps passé. Des pans de l’Histoire traversés.
L’écrivain, qui préfère se présenter comme « un homme de l’enseignement avant tout » a toujours gardé le « sens de la précision » quand il développe son propos. Un arabe limpide. Sans fioritures. Il se résume : »J’aime la clarté ! ».
M’barek est le produit de son histoire. Tout petit, il a eu l’opportunité d’avoir été élève de plusieurs « leaders du mouvement nationaliste marocain », dont, entre autres, Bouchta Jamai, Mustapha Alaoui ou encore Abderrahman Youssoufi.
Au collège Abdelkrim Lahlou, il y en avait d’autres. Rabie se souvient, qu’en ce moment, il avait partagé les mêmes salles de classe avec Mohamed Abid Jabri, Mustapha Maadaoui, Ibrahim Semlali, pour ne citer que ces trois « personnalités ». C’était, pour ainsi dire, une période d’inflexion marquée, notamment, par la lutte contre le colonialisme. Au carrefour, les chemins se sont séparés.
Dans la foulée, M.Rabie intégrera l’enseignement privé, après avoir mis sur pied une librairie. Un commerce qui, se souvient-il, lui a permis d’être en contact permanent avec les livres. « Je n’avais pas gagné de l’argent au cours de cette expérience. J’ai gagné davantage: le nombre de livres que j’ai pus lire ». » j’étais tant dans mon élément », dit-il.
En somme, c’était dans une certaine continuité. Comme une bonne partie des jeunes de son époque, il « dévorait » au moins deux livres par semaine, moyennant 10 à 20 centimes pour la « location » d’un livre/la semaine. « Mais, un seul livre n’assouvissait pas ma soif ! ». Il lisait vite pour s’offrir davantage.
Avec une mémoire aussi ‘chargée’ que la sienne, il va pratiquement sans dire qu’il arrive un moment où l’envie d’écrire s’impose d’elle-même. Quasiment, fatalement ! M’barek, des années plus tard, n’y échappera pas.
Qu’à cela ne tienne. La soif de ‘savoir’ ne le lâchera pas non plus. En effet, après l’enseignement dans le privé, il intègre l’enseignement public en 1958, notamment à l’école des instituteurs de Ain Sbaa. Cette même année qui verra la création d’une cellule de lecture, soit juste quelques mois avant la naissance de l’Union des Écrivains Marocains dont il était l’un des co-fondateurs, où ils étaient plusieurs à se partager leurs essais.
Ceci étant, l’envie d’aller plus loin chevillée au corps et à l’esprit, il décroche, chemin faisant, un baccalauréat libre. Le voilà aux débuts des années 1960 à la Faculté. Nous sommes en 1963-1964, M’barek est étudiant dans le département de philosophie. Il fait partie de la première promotion où il aura comme professeur un certain Mohamed Aziz Lahbabi, mais aussi d’autres professeurs, c’était de coutume, venus du Machreq…
Depuis, le romancier, diplômé en philosophie, spécialité psychologie, avec un parcours de pédagogue (recherches, enseignant dans plusieurs centres, entre autres, de formation d’inspecteurs…) restera dans la famille de l’enseignement. Ils ne se lâcheront plus.
Une longue expérience qui le mènera à assumer, il y a quelques années, la mission de doyen de la faculté des lettres de Ben Msick Sidi Othman. Mais, sans se départir de l’impératif d’écrire !
« Écrire pour mieux s’approprier et son récit propre et l’Histoire du pays », pour reprendre la formule d’un de ses connaissances. D’ailleurs, c’est dans cette dimension où l’on peut inscrire sa fameuse trilogie « Derb Soltan » éditée en 1999. Une sorte de plongée dans l’histoire de l’un des plus vieux et emblématiques quartiers de Casablanca. Sans parler d’autres œuvres, Arrih’ Ash’shatouia, Sidna Q’dar et d’autres recueils de nouvelles.
Toujours est-il que l’un des marqueurs de son récit littéraire demeure Attayyibun. En fait, c’était le premier opus édité de l’auteur au début des années 1970. Qui plus est avait reçu le Prix du Maghreb du Roman organisé par la Tunisie.
Pour l’anecdote, M.Rabie s’est vu octroyer la ‘somme coquette’ de 6.000 dirhams par un éditeur marocain l’époque !
Pas besoin de comparer…
Le romancier continue de marier l’acte d’écrire à celui d’enseigner. En bon ménage, dit-il !