Le rapport annuel de la Cour des comptes pour l’exercice 2023-2024 s’impose comme un document magistral, un miroir implacable des forces et des failles de la gestion publique au Maroc. À l’heure où le pays navigue dans un contexte mondial incertain, marqué par le ralentissement de la croissance, l’inflation persistante et les pressions climatiques, cette analyse exhaustive offre à la fois des constats lucides et des recommandations ambitieuses pour réformer, optimiser et projeter l’État dans une nouvelle ère de gouvernance.
Malgré une conjoncture internationale hostile, l’économie nationale a affiché des signes de résilience. Une croissance de 3,4 % en 2023 contre 1,5 % l’année précédente, une réduction du déficit budgétaire de 5,4 % à 4,4 %, et des efforts significatifs pour maîtriser l’inflation témoignent d’un pilotage relativement stable. Cependant, la dette publique, qui culmine à 69,5 % du PIB, demeure une épée de Damoclès. La Cour pointe la nécessité d’approfondir les réformes fiscales et de mobiliser davantage le secteur privé pour garantir une trajectoire économique soutenable.
Le volet hydrique, pilier de la souveraineté nationale, occupe une place centrale dans le rapport. Si le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 a vu son budget réévalué à 143 milliards de dirhams, des retards préoccupants dans la réalisation de certains projets stratégiques – tels que la construction de barrages et l’interconnexion des bassins hydrauliques – menacent l’équilibre fragile des ressources en eau. La Cour exhorte à une accélération des travaux et à une meilleure synergie entre les parties prenantes pour contrer les effets ravageurs des changements climatiques et de la surexploitation.
L’investissement public, autre pierre angulaire de la stratégie nationale, souffre d’insuffisances structurelles criantes : études préalables peu fiables, manque de coordination et pilotage déficient. Ces lacunes compromettent l’impact des projets et leur contribution au développement territorial. La Cour appelle à une révolution managériale, ancrée dans une culture de performance et de résultats, pour transformer chaque dirham investi en moteur de progrès tangible.
Sur le front social, le rapport salue les progrès réalisés dans le domaine de la protection sociale, mais souligne des défis persistants dans sa mise en œuvre locale. Un cadre juridique clair, un financement cohérent et une coordination efficace entre les collectivités territoriales et les acteurs nationaux sont indispensables pour garantir des retombées équitables et durables.
Le volet politique n’est pas épargné par le scalpel analytique de la Cour. Les financements publics des partis politiques, souvent entachés de dysfonctionnements, appellent une révision des cadres réglementaires et un renforcement des mécanismes de contrôle. Par ailleurs, la transformation numérique de l’administration, bien qu’en progrès, reste en deçà des attentes, avec seulement 23 % des services publics entièrement digitalisés. La modernisation des procédures administratives devient une urgence pour libérer le potentiel de l’État et améliorer l’expérience des citoyens.
Enfin, la Cour des comptes réaffirme son rôle de vigie morale et financière. Avec 139 millions de dirhams récupérés grâce à des mesures correctives, elle prouve que la transparence et la reddition des comptes ne sont pas des slogans, mais des exigences vitales. Toutefois, le rapport met en garde : il est impératif de renforcer les capacités des institutions de contrôle interne et d’adopter une approche proactive pour prévenir les dérives avant qu’elles ne se matérialisent.
Ce rapport n’est pas une simple photographie de la gestion publique ; il est un appel vibrant à l’action. Les décideurs publics doivent s’armer de courage et de détermination pour traduire ces recommandations en réformes concrètes. L’avenir du Maroc se joue dans la capacité de ses institutions à conjuguer ambition et rigueur, et à replacer le citoyen au cœur de chaque décision. Le verdict de la Cour des comptes est sans appel : il faut réformer, sans concession.