La dernière émission du programme « Parlons de canapé », animée par la journaliste Najiba Jalal, a mis en lumière une plaie politique qui s’élargit chaque jour. Elle a abordé le phénomène de la transformation d’Abdelilah Benkirane, passant de leader politique à une figure imprégnée de folie des grandeurs, alors même que son environnement partisan semble avoir perdu la capacité de critique et d’évaluation.
Ce que Jalal a exposé n’était pas qu’un simple avis personnel, mais un diagnostic précis d’une situation en aggravation au sein du Parti de la justice et du développement. Un parti censé être une institution démocratique est désormais devenu proche d’une confrérie religieuse, où les disciples tournent autour de la figure du leader comme s’il s’agissait d’un personnage sacré, infaillible. C’est de ce constat que découle cette analyse critique, visant à déconstruire ce lien d’allégeance absolue et à poser les questions que beaucoup préfèrent éviter.
Il n’est pas nécessaire de chercher longtemps pour trouver des exemples éclatants de la transformation des partisans de Benkirane en adorateurs défendant tout ce qui émane de lui, même s’il s’agit d’insultes injustifiées ou de propos inappropriés. Lorsque Benkirane a traité le président français d’« humilié », en référence à ce qu’il a considéré comme un comportement lâche vis-à-vis de la cause palestinienne, ses disciples n’ont pas hésité à interpréter cette insulte comme un « acte de bravoure » et une « défense des valeurs sacrées ».
Ce qui est surprenant ici, c’est que la France figure parmi les plus grands soutiens internationaux du Maroc dans le dossier du Sahara, rendant l’injure d’autant plus illogique sur le plan politique, pouvant même nuire aux intérêts nationaux. Pourtant, les partisans n’ont pas abordé cette contradiction ; ils ont au contraire célébré l’audace de leur leader, comme si la politique n’était plus qu’un concours d’invectives et de discours enflammés.
Quand Benkirane a utilisé le terme « ânes » pour désigner ses adversaires politiques, cette provocation s’est transformée aux yeux de ses partisans en une « sagesse » qu’il convenait de défendre. Certains n’ont pas seulement approuvé ; ils se sont joints à l’attaque, ajoutant de nouvelles insultes, comme si le combat politique s’était métamorphosé en un champ de controverses personnelles plutôt qu’en un débat intellectuel.
La question qui se pose est la suivante : où sont passées les principes du dialogue politique ? Où est le respect des adversaires, qui devrait être la pierre angulaire de toute activité politique mûre ?
Le problème ne réside pas tant dans les mots de Benkirane que dans la mentalité qui justifie tout ce qu’il émet, même s’il s’agit d’une erreur manifeste. Plus alarmant encore est le fait que le parti ait évolué d’un espace de travail politique collectif à un simple prolongement de la personnalité de Benkirane. Les décisions ne sont plus prises par des mécanismes démocratiques, mais deviennent des fatwas émises par le chef, que les disciples appliquent sans interprétation.
Le débat interne est interdit, les opposants sont qualifiés d’hérétiques, et la loyauté personnelle est devenue une condition de survie. Comme dans les confréries soufies, où l’adepte s’engage à respecter une promesse d’obéissance, les membres de la confrérie benkirane sont devenus de simples suiveurs tournant le dos à tout principe qui entre en conflit avec la parole du chef.
Ce modèle ne tue pas seulement la démocratie au sein du parti ; il constitue un danger pour la politique dans son ensemble. Au lieu que les jeunes apprennent la culture du dialogue et le respect de l’autre, ils réalisent que le succès dépend d’une soumission aveugle au chef. Au lieu que le parti soit une école de compétence et d’intégrité, il est devenu un marché de fidélités et de postes.
La question qui s’impose est celle-ci : quand le Parti de la justice et du développement a-t-il discuté pour la dernière fois d’une décision importante en toute liberté et transparence ? Quand son leadership a-t-il été évalué avec professionnalisme pour la dernière fois ?