Le ‘Droit d’Achoura’ : Des enfants mendiant dans les rues sous le prétexte d’une tradition populaire

Le ‘Droit d’Achoura’ : Des enfants mendiant dans les rues sous le prétexte d’une tradition populaire

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Avec l’approche d’Achoura, les rues et ruelles de plusieurs villes marocaines sont le théâtre de scènes récurrentes où de jeunes enfants déambulent, seuls ou en groupes, tendant la main aux passants pour ce qu’ils appellent le « droit d’Achoura ».

Ces enfants, âgés généralement de 9 à 13 ans, sortent parfois en cachette de chez eux, tandis que d’autres mendient avec la bénédiction de leur famille, qui considère cela comme une tradition liée à cette occasion. Cependant, derrière cette apparente innocuité, cette réalité met en lumière une problématique alarmante, engendrant des risques et des abus souvent tus.

### Une tradition populaire en mutation

Dans les quartiers populaires, il est courant que les parents donnent à leurs enfants de l’argent symbolique durant Achoura, destiné à acheter des sucreries, des tambours et des masques. Ce rite familial s’est cependant transformé chez certains en une véritable mendicité, se produisant dans la rue et échappant à tout contrôle.

Mohamed, père de trois enfants à Kénitra, explique que « certains enfants ne rentrent à la maison qu’à la nuit tombée, après avoir accumulé des sommes atteignant parfois des centaines de dirhams ». Il ajoute que certains parents encouragent leurs enfants à sortir pour rassembler de l’argent pendant cette période, « prétendant que c’est une opportunité inestimable ».

### Les dangers de la rue

Le fait que ces enfants circulent dans des ruelles, des marchés bondés et des cafés, sans accompagnement ni protection, les rend vulnérables à divers incidents. Dans certaines zones, ils sont attirés ou victimes de harcèlement. D’autres subissent des vols ou se perdent. Certains interrompent temporairement leur scolarité pour mendier durant cette période.

Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que ces pratiques se déroulent sans aucune surveillance réelle de la part des familles, sous le prétexte d’une tradition populaire qui semble justifier ces dérives inquiétantes.

### « Droit d’Achoura », mendier pour les tambours

Les enfants ne demandent pas de l’argent pour des besoins fondamentaux, mais pour acquérir des accessoires festifs pour Achoura, principalement des tambours, des masques et des pétards. Ils collectent de l’argent par eux-mêmes, se déplaçant de quartier en quartier, et de café en café, jusqu’à rassembler suffisamment pour « célébrer ».

Dans certains quartiers, ces feux d’artifice se transforment en source de nuisances et de dangers, surtout lorsqu’ils sont utilisés à proximité des voitures ou entre les mains d’enfants inconscients des risques.

### Réaction d’un expert en éducation

L’éducateur et journaliste Idriss Tayti a exprimé son inquiétude face à cette problématique. Dans une déclaration exclusive, il a déclaré qu’ »à chaque Achoura, des phénomènes préoccupants refont surface… Si l’aspect festif attire l’attention des autorités, ce qui me préoccupe en tant qu’éducateur et acteur associatif, c’est ce qu’on appelle le droit d’Achoura ».

Il a ajouté que « cette coutume, qui devrait rester un simple geste symbolique entre voisins, s’est transformée en une porte d’entrée dangereuse à la mendicité des enfants dans la rue, en particulier devant les feux tricolores et les magasins, où l’on voit des enfants entraînés à tendre la main, plutôt qu’à construire leur avenir ».

Il a insisté sur le fait que « c’est le premier pas vers une mendicité systématique, et si nous ne faisons pas attention aujourd’hui, demain nous risquons d’être confrontés à une génération ayant appris que le profit peut être obtenu sans effort ».

Tayti a lancé un appel direct aux familles, à l’État et à la société civile, les exhortant à interdire la mendicité des enfants sous quelque prétexte que ce soit, à renforcer la surveillance éducative et à mettre en œuvre des lois visant à protéger les enfants contre l’exploitation. Il a également demandé aux associations de jouer un rôle éducatif auprès des familles et de proposer des alternatives éducatives stimulantes.

### Absence de contrôle et banalisation sociale

Bien que la loi prohibe la mendicité des enfants, la réalité montre une quasi-absence d’intervention effective. Les images d’enfants mendiants se reproduisent quotidiennement, sans susciter de réaction de la part des familles ou des autorités.

La banalisation sociale de ce phénomène ouvre la voie à une transformation d’Achoura en une période annuelle d’apprentissage de la demande d’argent au lieu de celle du savoir, et à l’apprentissage de la paresse plutôt que de l’effort.

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