Le Maroc entre deux vitesses : croissance nationale et disparités régionales, une réalité nécessitant une vision audacieuse.

Le Maroc entre deux vitesses : croissance nationale et disparités régionales, une réalité nécessitant une vision audacieuse.

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Le Maroc entre deux vitesses : croissance nationale et disparités régionales, une réalité qui nécessite une vision audacieuse.

Najiba Jalal

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a affirmé dans son discours que le Maroc avance aujourd’hui à deux vitesses différentes, décrivant une réalité économique et sociale indéniable, comme le démontrent les données du Haut-Commissariat au Plan pour l’année 2023. Alors que la croissance nationale affiche un taux de 3,7 % sur le papier, les comptes régionaux révèlent d’énormes disparités entre les régions, plaçant le pays face à un double défi : maintenir des taux de croissance respectables au niveau global tout en traitant les lacunes profondes qui menacent la cohésion sociale et l’avenir du développement durable.

Les régions ayant enregistré des taux de croissance élevés ne sont pas de simples chiffres sur le papier, mais illustrent ce qui peut être réalisé lorsque l’on dispose d’une vision d’investissement claire et d’une diversification économique. La région de Dakhla-Oued Ed-Dahab a enregistré une croissance de 10,1 %, portée par les investissements dans la pêche et les travaux publics, Fès-Meknès a connu une hausse de 8,9 % grâce à la performance robuste de l’agriculture et des services, et Marrakech-Safi a vu une augmentation de 6,3 % grâce à la reprise du tourisme, de l’hébergement et de la restauration. Ces régions ont démontré leur capacité à transformer les investissements en croissance tangible et en véritables opportunités pour les citoyens.

Cependant, en examinant d’autres régions, le contraste est criant. Beni Mellal-Khénifra a enregistré une contraction de 1,3 %, tandis que la région de l’Oriental a affiché -1 %, en raison de la fragilité de sa base productive et de sa dépendance quasi-totale au secteur agricole et à ses fluctuations climatiques. Cela soulève une question fondamentale : comment des citoyens d’une région dépendant des ressources naturelles peuvent-ils jouir des mêmes opportunités économiques que ceux vivant dans des régions industrielles ou touristiques avancées ?

Les inégalités ne se limitent pas au rythme de croissance, mais s’étendent également au revenu par habitant, atteignant 89 533 dirhams dans la région de Dakhla-Oued Ed-Dahab contre seulement 25 324 dirhams dans la région de Drâa-Tafilalet, soit plus de trois fois la différence. Ces écarts de revenu majeurs reflètent une concentration de la richesse autour de trois pôles économiques : Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra, et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, qui totalisent 58,5 % du produit intérieur brut, tandis que le reste du Maroc reste largement en retrait, attendant des chances équitables de contribuer au développement.

La structure sectorielle complique encore le tableau. Les régions extrêmement dépendantes du secteur primaire, comme Fès-Meknès, Drâa-Tafilalet, Souss-Massa et Dakhla-Oued Ed-Dahab, deviennent vulnérables aux aléas climatiques et aux sécheresses, tandis que le cœur de l’industrie et des services reste concentré sur des zones limitées. La demande intérieure témoigne de cette concentration : cinq régions accaparent les trois quarts des dépenses des ménages, avec Casablanca-Settat représentant à elle seule un quart de la consommation nationale. Cette situation montre que les marchés locaux dans de nombreuses régions manquent de dynamisme, et que les opportunités d’emploi et de services publics sont inégalement réparties.

Dès lors, la vérité amère se dessine : la croissance nationale n’est pas en soi un problème, mais c’est sa qualité et sa répartition qui le sont. Des taux « acceptables » au niveau national peuvent dissimuler des fragilités structurelles et des inégalités sociales qui menacent la cohésion sociale à long terme. Le Maroc a aujourd’hui besoin de politiques territoriales audacieuses, redirigeant les investissements publics et privés en fonction d’indicateurs d’impact régional, et soutenant la diversification économique dans les régions en retard, allant d’une agriculture intelligente en matière d’eau, aux petites industries, jusqu’aux services à valeur ajoutée, afin de garantir que chaque région ait la capacité de contribuer effectivement à la croissance nationale.

Le défi dépasse les frontières de l’économie pour atteindre la structure sociale : la persistance de la concentration de l’activité économique dans deux pôles industriels principaux risque d’approfondir les disparités régionales, créant un sentiment d’exclusion dans des zones entières, ce qui se répercute sur la stabilité sociale et la confiance dans l’État. Le nouveau modèle de développement, qui mise sur la justice territoriale, n’est pas un choix, mais une nécessité, pour s’assurer que le Maroc progresse à deux vitesses parallèles, non contradictoires, et que les disparités se transforment en opportunités d’innovation et de développement intégré.

Enfin, le Maroc se trouve dans un véritable test de la capacité de l’État et de la société civile à transformer les chiffres officiels en une réalité tangible, garantissant une véritable justice territoriale et un équilibre économique global, et inscrivant toutes les régions sur la voie du développement durable. Ce n’est qu’avec cette approche que le Maroc pourra passer d’un pays à “croissance à double vitesse” à un modèle de développement équilibré, où chaque citoyen sent que son effort et sa place dans la nation reflète sa réelle opportunité de progrès et de prospérité.

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