Un rapport récent publié par la Fondation Friedrich Naumann, intitulé “L’agriculture sous pression : changement climatique et sécurité alimentaire au Maroc”, présente un tableau à la fois précis et inquiétant des défis auxquels est confronté le secteur agricole marocain face aux rapides changements climatiques, mettant en avant leurs conséquences économiques, sociales et environnementales sur la sécurité alimentaire du pays.
Le rapport souligne que l’agriculture constitue le pilier de l’économie nationale ainsi que de l’identité culturelle et sociale du Maroc, contribuant entre 13 et 14 % du produit intérieur brut et employant environ 40 % de la main-d’œuvre. Dans les zones rurales, plus de 60 % de la population dépend directement de l’agriculture pour subsister, la plupart étant de petits agriculteurs cultivant des terrains de moins de cinq hectares, souvent dépendants des pluies, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux fluctuations climatiques et à la rareté de l’eau.
Le rapport confirme que les petits agriculteurs ne représentent pas seulement la base de la production alimentaire, mais constituent également un pilier de la stabilité sociale et de la transmission des connaissances agricoles traditionnelles à travers les générations. Il met en lumière que tout recul de ce secteur a des répercussions négatives sur le tissu économique et social de l’ensemble du territoire national.
Il précise que le Maroc connaît des changements climatiques rapides, avec une augmentation des températures annuelles moyennes d’environ deux degrés Celsius depuis le début du XXe siècle, dépassant la moyenne mondiale. Les modèles de précipitations sont devenus plus variables, alternant entre des inondations dévastatrices et de longues périodes de sécheresse, menaçant l’agriculture pluviale qui couvre environ 60 % des terres cultivées.
À titre d’exemple, la production de blé, aliment de base pour les Marocains, a été sujette à de fortes fluctuations, tombant de 11,47 millions de tonnes en 2015 à 3,35 millions de tonnes en 2016, ce qui a conduit le Maroc à augmenter ses importations de céréales, représentant environ 20 % des revenus d’exportation, soit plus de quatre fois la moyenne mondiale, rendant le pays vulnérable aux risques économiques et de sécurité alimentaire.
Le rapport indique également que le Maroc a lancé en 2008 le Plan “Maroc vert” pour moderniser le secteur agricole et accroître sa productivité, reposant sur deux piliers principaux : le soutien aux grandes exploitations et aux infrastructures d’irrigation, et la promotion de l’agriculture solidaire en faveur des petits agriculteurs. Malgré des résultats positifs partiels tels qu’une augmentation des exportations et l’élargissement des surfaces irriguées, les bénéfices n’ont pas été équitables. Les grandes exploitations orientées vers l’exportation ont capté la majorité des gains, tandis que les petits agriculteurs continuent de faire face à des difficultés d’accès au financement, à l’expertise technique et aux marchés.
Le rapport met également en garde que l’accent mis sur les cultures consommatrices d’eau comme l’avocat et les agrumes, dans le but de favoriser l’exportation, a conduit à un épuisement des ressources en eau souterraine, notamment dans la région de Souss-Massa, où des études montrent que l’exploitation des forages pour satisfaire la demande d’exportation est devenue non durable, menaçant la sécurité hydrique à long terme.
Il est souligné que l’agriculture de petite taille dépasse son aspect économique pour constituer une partie intégrante de l’identité rurale et du patrimoine culturel marocain, influençant la cuisine locale, les traditions saisonnières et la transmission des savoirs traditionnels liés à la gestion des terres. La contraction de ce modèle agricole risque de affaiblir la cohésion sociale et de menacer le patrimoine culturel des communautés rurales.
Le rapport conclut en affirmant que le Maroc se trouve aujourd’hui à un carrefour : soit poursuivre un modèle de croissance déséquilibré qui aggrave la vulnérabilité, soit adopter un modèle agricole durable, équitable et résilient aux fluctuations climatiques, qui équilibre productivité, protection des petits agriculteurs et des ressources naturelles. Il insiste sur le fait que l’avenir alimentaire de millions de familles rurales dépend de ce choix, appelant à réévaluer les politiques agricoles et à encourager l’innovation agricole locale tout en impliquant les communautés rurales dans la prise de décision pour garantir la sécurité alimentaire et la durabilité.