Mohammed El Gharbawi
La Fédération nationale des journalistes marocains traverse l’une de ses crises les plus sérieuses, suite à la démarche du président Abdelkbir Akhichine qui a sollicité la Fédération internationale des journalistes pour intervenir dans les discussions concernant le projet de loi de réorganisation du Conseil national de la presse.
Cette initiative, prise sans en informer ou consulter le bureau exécutif, a été perçue à l’intérieur de la fédération comme un acte individuel dépourvu de sens institutionnel et portant atteinte au principe de souveraineté nationale. La plupart des membres du bureau exécutif ont exprimé leur désaccord face à ce qu’ils considèrent comme un « dépassement grave », affirmant qu’Akhichine a agi en son nom personnel, tirant parti d’un mandat administratif qui ne lui confère pas la légitimité de prendre des décisions politiques de cette ampleur.
La gravité de cette initiative ne réside pas seulement dans le contenu de la lettre adressée à la Fédération internationale, mais aussi dans sa symbolique, car elle met en lumière une institution marocaine qui fait appel à une entité étrangère sur une question législative interne. Professionnels et observateurs y voient un renforcement de l’ingérence étrangère, fragilisant l’image du Maroc à un moment où le pays cherche à améliorer sa présence internationale et à accueillir des événements majeurs.
Le Parlement marocain, qui examine actuellement le projet au sein de ses commissions, en tant qu’institution constitutionnelle indépendante, ne pliera pas devant les pressions ou les chantages extérieurs. La législation au Maroc demeure un sujet de pure souveraineté exercé par des institutions élues représentant la volonté populaire. Le royaume n’est pas en position de permettre à quiconque, quelle que soit sa qualité, d’imposer des positions ou de diriger ses débats internes ou d’enforcir des modifications à ses lois nationales.
Les messages que la correspondance à la Fédération internationale a tenté de transmettre sapent le principe d’indépendance qui caractérise l’expérience marocaine d’organisation de la profession et montrent une tentative évidente de politiser le débat professionnel. Cependant, le Maroc, par sa constitution et ses institutions, a prouvé à plusieurs reprises qu’il n’accepte aucune ingérence étrangère dans ses affaires, et que le dialogue sur la presse, la liberté et la réforme se déroule à l’intérieur du pays, par des moyens nationaux, tout en respectant pleinement sa souveraineté et son indépendance institutionnelle.
De nombreux acteurs du milieu médiatique ont rappelé la contradiction dans la position du président de la fédération, qui était auparavant l’un des ardents défenseurs du refus de toute ingérence étrangère lorsqu’une déclaration de la même fédération a été émise à propos d’un journaliste, considérant alors que la justice marocaine était inviolable. La paradoxe aujourd’hui est qu’il se tourne vers la même institution étrangère quand il sent que ses intérêts organisationnels sont menacés au sein du Conseil national de la presse.
Cette duplicité dans les positions a suscité un large débat sur la nature du leadership syndical et les limites de son rôle entre la défense de la profession et la satisfaction d’agendas personnels. La fédération, qui devrait être la voix de l’équilibre, se trouve maintenant en confrontation directe avec l’État qui finance une partie de ses activités, ainsi qu’avec le Parlement qui subit des pressions non justifiées.
La crise s’est intensifiée lorsque la fédération a récemment organisé une manifestation devant le Parlement, à laquelle ont participé seulement environ cinquante personnes, dont la plupart ne possédaient pas de carte de presse, et certains faisaient même face à des poursuites judiciaires. Les manifestants ont exprimé leur rejet du processus de réforme du Conseil national de la presse et de la loi qui le régit. Il est étrange que la fédération ait choisi d’organiser la manifestation le même jour que la réception par Sa Majesté le Roi Mohammed VI de l’équipe nationale des jeunes, couronnée du titre de champion du monde, un événement qui a été largement célébré par le public.
Ce choix de timing a été perçu comme une tentative de pression et de provocation, mais elle a échoué, car la manifestation a attiré un nombre limité de journalistes, tandis que la majorité des participants étaient des imposteurs, des youtubeurs ou des activistes associatifs sans lien avec la profession.
Des observateurs ont qualifié ce qui s’est passé de bourbier institutionnel qui nuit à la réputation de la fédération et la place dans une situation délicate aux yeux de l’opinion publique professionnelle et nationale. Beaucoup estiment que ce qui s’est passé doit servir de moment de profonde réévaluation au sein de la fédération, pour redéfinir son rôle en tant que force nationale indépendante de proposition, plutôt que comme un organisme réactif qui exporte ses crises à l’extérieur.






