L’Economiste au Policy Center for the New South (PCNS), Rim Berahab, livre à la MAP sa vision de la relance de l’économie nationale en prônant un développement durable, qui concilie prospérité économique et protection de l’environnement.
1- Quelle est votre analyse de la conjoncture économique actuelle au Maroc ?
A l’instar de la plupart des pays, le Maroc a été fortement touché par les répercussions de la crise sanitaire liée au COVID-19. Selon les données du Haut-Commissariat au Plan, la croissance de l’économie nationale n’aurait pas dépassé +0,7% au premier trimestre 2020, au lieu de +1,9%, sans l’effet du COVID-19. La dynamique sectorielle nationale a été ainsi altérée, d’une part, par l’exposition des secteurs marchands aux chocs économiques externes à travers les canaux de transmission traditionnels et, d’autre part, par l’effet du confinement sur certains secteurs domestiques. Ainsi, la valeur ajoutée agricole a connu une baisse suite à la faible performance de la campagne agricole. Hors agriculture, les activités secondaires se sont contractées suite à la baisse du rythme de croissance des industries manufacturières et de l’électricité. Les activités tertiaires ont également enregistré une nette réduction de leur taux de croissance. En ce sens, la crise du COVID-19 s’est reflétée notamment sur le rendement des recettes touristiques et des transferts des Marocains résidant à l’étranger.
Du côté de la demande intérieure, les mesures prises par le Comité de Veille Economique ont partiellement absorbé le choc du confinement sanitaire sur les ménages vulnérables et les entreprises en difficulté ainsi que sur leurs salariés. Il est ainsi vrai que la consommation des ménages a été stimulée par l’augmentation des dépenses alimentaires au cours du premier trimestre 2020. Cependant, on estime que les investissements ont diminué de 2,4%, au lieu de l’augmentation de 1,2% prévue début avril. En conséquence, la contribution de la demande à la croissance économique aurait diminué au premier trimestre 2020, avec une contribution limitée à un point, au lieu de 1,6. De même, les prix à la consommation ont augmenté de 1,3% en variation annuelle au premier trimestre 2020, au lieu de +0,7%. Cette augmentation est due à une hausse de 1,8% des prix des produits alimentaires et de 1,2% des prix des produits non alimentaires.
Par ailleurs, malgré la baisse de la demande extérieure adressée au Maroc, les exportations de biens et services en volume auraient fait preuve d’une résistance plus forte que prévu, augmentant de 0,3% au premier trimestre 2020. Les importations en volume auraient, quant à elles, ralenti, ne progressant que de 1%, au lieu de +3% un an auparavant. Toutefois, compte tenu des perspectives mondiales moroses, la croissance de la demande extérieure pour les exportations et les importations du Maroc a été révisée à la baisse pour le deuxième trimestre 2020. Cette baisse serait combinée à la réduction de la demande intérieure avec l’extension de la période de confinement sur plus de la moitié du deuxième trimestre. La croissance de la consommation des ménages devrait ainsi diminuer de 1,2% au deuxième trimestre 2020. Au total, la croissance économique nationale serait réduite de 8,9 points au deuxième trimestre 2020 par rapport à sa tendance d’avant-crise.
2- Cette crise sanitaire a entraîné une baisse spectaculaire des émissions de CO2 à travers le monde, comment peut-on capitaliser sur ses résultats et comment le Maroc pourrait-il concilier développement économique et respect de l’environnement ?
Si la crise du coronavirus nous a montré une chose, c’est la fragilité de nos sociétés face aux chocs externes. Il est vrai que le ralentissement économique mondial et les vagues de confinement induit par le COVID-19 a entraîné une baisse des émissions mondiales de CO2 estimée à 8% en 2020 d’après l’Agence Internationale de l’Energie, soit le niveau le plus pas depuis 2010. Cependant, cette baisse ne garantit pas un déclin durable des émissions de CO2 car elle n’est pas le résultat de l’adoption de nouvelles politiques et stratégies par les gouvernements et les entreprises, mais plutôt le résultat immédiat d’un choc exogène, qui a de graves répercussions sur la santé et l’activité économique des individus. Dès lors, il devient crucial de tirer profit de cette situation afin de construire un avenir plus durable qui assure à la fois le développement économique et la préservation de l’environnement. La notion de résilience de l’économie devient ainsi un concept clé pour se prémunir contre de futures crises.
Doté d’importantes ressources énergétiques renouvelables, le Maroc, en 2009, soit des années avant le déclenchement de cette crise sanitaire, a adopté une stratégie énergétique nationale comme feuille de route pour la transition vers un système énergétique à faible teneur en carbone qui concilie développement économique et objectifs sociaux et environnementaux. Cette stratégie a établi cinq priorités pour la politique énergétique du Maroc, qui sont : i)- développer un bouquet énergétique diversifié et optimisé ; ii)- mobiliser les ressources nationales, y compris l’utilisation des énergies renouvelables, en particulier l’éolien et le solaire ; iii)- faire de l’efficacité énergétique une priorité nationale ; iv)- réaliser une coopération plus forte avec les marchés de l’énergie de l’Europe et de l’Afrique ; et v)- promouvoir, par l’intégration industrielle, le développement des capacités industrielles locales à tous les niveaux de la chaîne de valeur des technologies vertes.
Ces orientations stratégiques se sont traduites par des objectifs fondamentaux tels que la généralisation de l’accès à l’énergie à des prix compétitifs, l’utilisation des ressources renouvelables, la protection de l’environnement et la gestion de la demande. De nombreux acquis ont ainsi pu être consolidés, comme la sécurisation de l’approvisionnement de l’énergie, l’initiation de la libération du marché de l’électricité et la propulsion du Maroc à l’avant-garde de l’agenda climatique. Cependant, dans le contexte actuel, il devient nécessaire pour le Maroc d’aller au-delà des objectifs initiaux de la stratégie énergétique et de multiplier les efforts pour dépasser ses limites. Ce faisant, le Royaume doit s’assurer que les mécanismes adéquats soient mis en place pour optimiser son potentiel énergétique, notamment en matière d’énergies renouvelables, sans créer d’effets collatéraux négatifs. La nouvelle stratégie énergétique doit donc accorder à la justice sociale et à la protection de l’environnement une place égale à celle de l’efficacité énergétique technique et économique et ainsi œuvrer à la construction d’une économie durable.
3- Le Maroc a adopté une panoplie de mesures pour relancer son économie, comment cette relance doit-elle accompagner le processus de transition énergétique que mène le Royaume ?
Faisant suite à la question précédente, il est clair que le plan de relance économique adopté par le Maroc doit ériger en priorité le redémarrage de l’appareil productif, la préservation des emplois et l’aide aux entreprises en détresse. Cependant, le processus de transition énergétique et, in fine la construction d’un avenir énergétique sûr et durable, ne doit pas être perdu au profit de priorités immédiates. En effet, l’économie verte doit occuper une place de premier choix dans le futur plan de relance pour de multiples raisons. L’engagement du Maroc en faveur des énergies renouvelables depuis 2009 a fait preuve de sa pertinence. L’opportunité est encore présente en dépit des nombreux bouleversements de la conjoncture mondiale. Les atouts stratégiques fondamentaux du Maroc, cristallisés dans son potentiel solaire et éolien, sont aujourd’hui en mesure de générer des bénéfices socio-économiques et environnementaux très importants. A ce titre, l’énergie est dorénavant considérée comme un atout à la fois économique, social et environnemental.
En outre, le paradigme énergétique en vigueur, marqué par la dépendance vis-à-vis de l’extérieur et la volatilité des prix mondiaux de l’énergie, est susceptible d’être entièrement inversé. Le Royaume peut ainsi satisfaire ses propres besoins énergétiques et contribuer à satisfaire la demande de pays qui ne disposent pas du même potentiel, notamment en Europe. Par conséquent, l’énergie, qui n’était jusqu’à présent qu’un ingrédient externe de la croissance, peut devenir son catalyseur. Ce faisant, le Maroc devrait ainsi saisir l’opportunité de cette relance pour repenser la stratégie énergétique et s’assurer qu’elle soit socialement juste, équitable et inclusive, à la fois responsable sur le plan environnemental et soutenable sur le plan financier. Elle doit également se doubler d’une refonte de la gouvernance en vue de s’adapter aux évolutions du secteur ainsi que d’une réorganisation des politiques publiques affectant l’énergie en examinant de manière coordonnée et intégrée plusieurs politiques connexes qui sont actuellement pensées et développées séparément. Enfin, elle doit s’appuyer sur une implication plus large des citoyens et des territoires pour lier la transition énergétique aux enjeux du développement local.
4- Une Loi de finances rectificative verra très bientôt le jour, dans quelle mesure cet instrument pourra-il activer les moteurs d’une croissance verte et créatrice d’emploi ?
L’économie verte n’est pas un luxe mais une opportunité à saisir pour les pays en développement, notamment le Maroc, afin de stimuler la croissance tout en respectant l’environnement et en luttant contre la pauvreté. D’autant plus que les énergies renouvelables sont entrées dans un cercle vertueux de progrès technologique et de réduction des coûts, devenant ainsi de plus en plus compétitives par rapport aux combustibles fossiles, notamment pour la production d’électricité. La croissance verte est ainsi une opportunité pour se défaire des modes de production et de consommation non durables et gaspilleurs. Il ne suffit donc pas uniquement de prendre en compte les questions environnementales dans les décisions d’investissement dans les infrastructures, par exemple, mais aussi d’avoir une vision exhaustive de l’ensemble de la politique nationale qui viserait un développement durable protégeant le capital naturel et garantissant une vie digne aux citoyens dans tout le pays. Les entreprises, par exemple, doivent s’adapter aux exigences de l’économie verte en optant pour des procédés de travail moins polluants, moins consommateurs d’inputs et de ressources. Introduire une réforme de la fiscalité « écologique » peut aussi être envisageable afin d’inciter à moins de pollution.
5- Dans la foulée de l’émergence à travers le monde de certaines filières énergétiques innovantes et prometteuses (Power to X, …), quelles sont les opportunités que le Maroc doit saisir pour mieux se positionner sur le plan régional et international?
Au cours des dernières années, le Maroc s’est positionné comme un acteur clé dans le secteur des énergies renouvelables en Afrique. Aujourd’hui, d’autres technologies sont apparues telles les filières de production construites autour de l’hydrogène, appelées communément « Power To X », qui constituent une excellente alternative aux combustibles fossiles, notamment dans le secteur du transport. L’hydrogène est en effet considéré comme un vecteur énergétique clé dans de nombreux secteurs. Il peut être commercialisé grâce à sa facilité de stockage et à ses diverses utilisations finales : L’ammoniac et le méthanol pour l’industrie chimique, les hydrocarbures synthétiques pour l’aviation et le fer briqueté à chaud pour la fabrication de l’acier. Bien que l’hydrogène renouvelable soit actuellement plus cher que l’hydrogène conventionnel, ses coûts sont en train de diminuer, principalement en raison de la baisse des coûts des énergies renouvelables.
Le Maroc est largement qualifié pour devenir un acteur clé dans le développement de l’hydrogène vert, en raison de sa situation géographique, de ses interconnexions énergétiques et de ses ressources renouvelables exceptionnelles. Selon le World Energy Council Germany, le Royaume fait partie des cinq pays à plus fort potentiel pour la production et l’export de molécules vertes. Il pourrait capter jusqu’à 4% du marché mondial de l’hydrogène, selon le ministère de l’énergie et des mines, soit près de 3 milliards de dollars en considérant le marché de 2018. Le Maroc doit donc saisir cette opportunité pour investir dans cette filière énergétique novatrice et se positionner comme partenaire stratégique de l’Europe. Cela exigerait un effort national important et une augmentation rapide des compétences pour industrialiser les processus, ainsi qu’un rapprochement avec les acteurs internationaux de référence. La montée en puissance devrait permettre au Maroc, dans les prochaines années, de fournir de l’hydrogène vert et des molécules vertes à son marché intérieur mais aussi à l’Europe.
Dans ce sens, de nombreuses actions ont été menées par le Maroc telles que la création de la Commission nationale de l’hydrogène vert, réunissant des acteurs publics et privés ; le lancement d’une étude pour l’élaboration de la feuille de route de l’hydrogène vert ; ainsi que le développement d’un programme intégré pour la production d’ammoniac vert, en redéployant les énergies renouvelables.