Pris en tenailles entre une pandémie qui fait rage au Brésil et amenuise sa popularité et le défi de préserver son soutien à un an et demi des présidentielles, Jair Bolsonaro a remanié un quart du gouvernement et les commandements des Armées de terre, de l’air et de la Marine.
Bolsonaro, connu pour sa proximité avec l’armée dont il est capitaine de réserve, a pris de court les brésiliens en décidant de remplacer l’amiral Ilques Barbosa Junior, de la marine, le lieutenant de brigade Antonio Carlos Moretti, de l’aviation, et le général Eduardo Pujol, de l’armée de terre.
Le remplacement des trois chefs militaires est un événement inhabituel et a été interprété comme une réponse à certains gestes de solidarité avec le général Fernando Azevedo e Silva, qui a quitté lundi son poste à la tête du ministère de la Défense.
L’opposition a vite pris position contre ce qu’elle a appelé « l’ingérence du président dans l’armée qui mérite d’initier une procédure de destitution ». Le Chef de l’Etat, qui s’est d’ailleurs peu exprimé sur ce large remaniement, a assuré mardi « agir dans le cadre de la Constitution ».
Si la confrontation avec l’institution militaire, d’ailleurs une des plus puissantes au Brésil, est un fait rare dans le pays sud-américain, l’enjeu est de taille pour Bolsonaro : préserver le soutien de l’extrême droite et des conservateurs modérés, d’autant plus que la gauche est en train de se réinventer en prévision des élections de 2022.
L’année dernière, lorsque les militants d’extrême droite appelaient à une « intervention militaire » et à la « fermeture » du Parlement et de la Cour suprême, des actes soutenus par Bolsonaro, l’armée avait pris ses distances. Pourtant, presque la moitié du gouvernement était issue de l’armée.
Néanmoins, la confrontation n’est pas un scénario plausible selon certains observateurs et médias locaux, pour qui le départ de quelques figures ne signifie pas forcément un débarquement de l’armée d’un gouvernement où les militaires constituent l’ossature.
Le président, sans appui politique après avoir quitté le Parti social libéral (PSL) avec qui il a été porté au pouvoir, veut sauver sa popularité qui s’amenuise en raison de la gestion de la crise sanitaire et la suspension en décembre des aides d’urgence aux plus pauvres.
L’institut Ideia Big Data, qui a interrogé 1.255 personnes entre le 22 et le 24 mars, lors d’un sondage révélé par le magazine EXAME, a relevé une désapprobation du gouvernement à 49%, la pire depuis juin dernier (54%).
Si le pourcentage de ceux qui considéraient Bolsonaro comme « excellent » ou « bon » était de 30%, il n’est désormais que de 25%, notamment à cause du retard dans la vaccination (77% des sondés) et la suspension des subventions qui reprendront en avril mais avec une somme jugée insuffisante par 69% des Brésiliens.
Selon les analystes, il est difficile pour tout gouvernement de sortir indemne d’une pandémie qui fait quelque 3.000 morts quotidiens, près de 315.000 au total, mais qui a surtout paralysé la première économie sud-américaine et fait perdre des millions d’emplois.
L’initiative du président de changer six ministres et responsables gouvernementaux en une journée, dont ceux de la Santé, des Affaires étrangères et de la Justice, vise justement à amortir les dégâts politiques.
Avant de faire volte-face avec l’annonce la semaine dernière d’un Comité nationale de lutte contre le coronavirus, Bolsonaro avait tout mis en œuvre depuis l’éclatement de la pandémie pour contrer les mesures de quarantaine, qu’il juge dévastatrices pour l’économie, son cheval de bataille lors de la campagne électorale de 2018. Le Brésil est aujourd’hui le deuxième pays le plus endeuillé, avec une économie qui a replongé dans la crise après quelques signes de reprise pendant les deux derniers trimestres de 2020.
Dans la foulée, le gouvernement a introduit un projet sur la « mobilisation nationale », un texte qui pourrait élargir le pouvoir du président mais auquel l’opposition à la Chambre des députés s’est opposée vigoureusement. Dans la pratique, le texte établit que dans des situations comme la crise sanitaire, le chef de l’exécutif peut prendre des mesures qui incluent une intervention dans les mécanismes de production publics et privés, la réquisition de biens et services, la mobilisation du personnel civil et militaire et la définition de « l’espace géographique du territoire national » dans lequel les mesures de lutte contre la pandémie seront appliquées.
Le président agit ainsi sur plusieurs fronts pour sauver son bilan sapé jusqu’à présent par la pandémie, une bataille dont la victoire reste tributaire notamment du temps que sévira encore le coronavirus et de la viabilité des réformes, notamment fiscale, visant à accélérer la reprise économique.
(MAP)
Khalid ATTOUBATA