Express tv/✍ Saïd Raji:
Le concept de « White Space » (Espace Blan) renvoie à l’idée d’un environnement de création où une personne peut atteindre son plein potentiel sans contraintes ni restrictions. Un environnement où les conditions de créativité sont favorables, comme l’affirme la professeure Ellie Rennie, chercheuse au Royal Melbourne Institute of Technology, dans son article de 2005 : « … Tout effort créatif – autrement dit, le progrès – nécessite un Espace Blanc ouvert où les expérimentations et la constructions nouvelles peuvent avoir lieu. Il doit y avoir la liberté d’essayer de nouvelles choses et un espace de travail libre pour imaginer, bricoler et concrétiser de nouvelles idées… ». Au-delà de cette définition, le White Space pourrait également faire référence à la redoutable vacuité de la toile qui s’étend devant l’artiste, lui ouvrant toutes les possibilités.
Le concept de White Space est précisément la méthode d’enseignement adoptée par Saïd Raji dans son atelier d’arts plastiques au Centre Culturel Iklyle de la Fondation Mohammed VI de Promotion des Œuvres Sociales de l’Education Formation. Fort d’une expérience d’enseignement de plus de 20 ans dans les arts plastiques, tant dans les écoles publiques que privées, Saïd a acquis une solide expérience dans l’encadrement d’apprenants de différents âges et provenant de différents horizons, les amenant à apprécier la peinture et à libérer pleinement leur potentiel artistique. La technique pédagogique de Raji relève de ce que l’on qualifie en littérature arabe de « السهل الممتنع » ; la simplicité trompeuse, simple en apparence mais difficile à atteindre. C’est une méthode d’enseignement qui, sans être intrusive, oriente l’apprenant dans l’acquisition de techniques de dessin et de peinture. Cette méthode pédagogique permet à l’apprenant d’externaliser son talent aussi librement que possible, sans trop de contraintes, de règles ou de directives. Les techniques, par contre, sont assimilées au fur et à mesure que l’apprenant progresse dans sa performance. C’est un apprentissage par la pratique ; du faire faire. Saïd Raji n’intervient ni au début ni à la fin, mais entre les deux pendant le processus d’apprentissage, il coach, corrige et murmure des idées, mais ne contrôle jamais.
Il est probable que l’approche du White Space ait attiré nos quatre artistes en herbe vers l’atelier de Said Raji. Leur rencontre n’était pas intentionnelle. Le destin les a réunis par hasard, et l’alchimie connue de toutes les âmes créatives a fait le reste. En moins de quelques mois, ils ont accordé leurs instruments et ont décidé de préparer une exposition ensemble. Leurs efforts ont abouti à la création de l’œuvre que vous admirez sur les murs de la galerie de la Fondation. Lorsque des artistes en herbe sont coachés par un mentor talentueux, le résultat ne peut être qu’une exposition exceptionnelle.
A vrai dire, à l’exception de Patricia Zanardo, qui a des années de pratique derrière elle, rien… absolument rien ne prédestinait le reste du groupe à peindre. Tout ce qu’ils avaient était le courage de s’armer d’un pinceau et de confronter la blancheur du canevas. Cependant, ils ont tous des personnalités exceptionnellement créatives et excellent dans leurs disciplines professionnelles respectives.
Au cours des dernières années, alors que nous mettions en place des ateliers artistiques dans le cadre du Centre Culturel Iklyle, j’ai suivi avec intérêt l’affluence croissante de ces ateliers. Tout au long, alors que nous tentions de structurer le processus d’apprentissage dans ces ateliers à travers des programmes strictement réglementés, j’ai relevé un certain manque d’enthousiasme de la part de Saïd Raji pour cette idée. Maintenant que je vois le résultat de cette exposition, je comprends mieux la source de cette réticence. Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Casablanca, Saïd a eu sa dose des programmes rigides et structurés du secteur public de l’enseignement artistique. Bien qu’il ait accepté l’idée à contrecœur, le programme n’a jamais vu le jour. Au fait, le concept de ‘Espace Blanc’ ; un espace non contraignant a largement contribué à augmenter l’affluence de l’atelier, d’ailleurs plusieurs participants d’autres villes n’ont pas hésité à faire le voyage pour y assister.
Le fait de parler plus longuement de la méthode d’enseignement que de l’œuvre elle-même est tout à fait intentionnel. Pour moi, la méthode ou le processus créatif, est aussi importante que l’œuvre. Tandis que la méthode n’est pas connue de tous, les œuvres quand a elles sont à découvrir sur les cimaises de la galerie de la Fondation.
YASSINE CHARKI
Yassine Charki est un « informatiste » cadre diplômé de l’École de l’Information (ESI), une école réputée pour former des spécialistes de haut niveau spécialisé dans le traitement et l’analyse de l’information. Contrairement à beaucoup de ses pairs qui ont opté pour des environnements de travail plus lucratifs (institutions de sécurité officielles ou création de leurs propres entreprises), ce jeune homme courageux a choisi de suivre une voie plus classique et de progresser entre les livres, l’information et les données. Après un passage à la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (BNRM) où il a affiné ses compétences et mis sa formation à l’épreuve, il a rejoint la Fondation. Depuis lors, il est en charge d’Iklyle, un réseau de Centres Culturels répartis dans tout le pays offrant une multitude d’activités culturelles, notamment la peinture. Pourtant, malgré un quotidien bien rempli d’événements culturels et artistiques, il n’a jamais osé dessiner ou peindre. Un jour, il s’est confié à moi sur sa passion non déclarée pour la peinture : « C’est ici, mais c’est encore confus », dit-il, pointant sa tête du doigt, dans une parodie du personnage de Shakespeare, Iago, complotant contre Othello… Yassine conspirait en effet pour s’aventurer dans le domaine artistique. « J’ai toujours senti que je pourrais dessiner quelque chose de bon, c’est juste que l’inspiration n’est pas encore arrivée »… je pouvais l’entendre dire.
En fait, pendant tout ce temps de réflexion où Yassine a plongé dans la peinture, il était en constante réflexion. Il n’était pas à l’aise, pas à l’aise du tout, avant de peindre, il avait déjà l’attitude de l’artiste insatisfait et angoissé. Je me rappelle de cela pour avoir travaillé étroitement avec lui et l’avoir observé de près : le gars a tout d’un artiste, son hésitation n’était pas une faille, c’était l’avant-dernière étape avant le saut.
Quand Yassine dessina pour la toute première fois, il l’a fait sur toile ; pas de gribouillage sur papier, pas d’essais… comme dit le dicton marocain « Il n’a pas marché, et quand il l’a fait, il est tombé dans le puits » (عمرو ما مشى أو نهار مشى طاح فالبير). Yassine a plongé la tête première dans la peinture, et il l’a fait avec aisance ; ce n’est pas étonnant de toute façon, il est le fils d’un artiste lui-même, son père étant un virtuose de la flûte… tel père tel fils.
PATRICIA ZANARDO
Patrizia Zanardo est une Belge d’origine italienne. Passionnée par les formes et les couleurs depuis son enfance, artistiquement parlant elle s’est révélée après sa rencontre avec le peintre belge René Dauby et à partir de 1996 qu’elle a commencé à suivre des cours dans son atelier. Les œuvres du peintre catalan Antoni Tapiès quant à eux l’ont inspirée à adopter une approche artistique expérimentale, axée sur l’équilibre et la représentation de la matière.
Exposant régulièrement en Belgique depuis plus de quinze ans, les œuvres de Zanardo sont décrites comme « émotionnelles » et « intuitives ». Développant rapidement son propre style avec des couleurs principalement ocre, noire, blanche et rouge, elle explore leurs variations, les harmonisant dans des compositions dynamiques. Sa méthode artistique implique l’exploration des nuances de couleur et de matière sur différents supports, les extrayant du support lui-même ou combinant des matériaux externes intégrés de manière transparente dans la toile.
Influencés par ses voyages, Zanardo absorbe les couleurs chaudes et les lignes énergiques, façonnant le tissu de ses futurs tableaux avec des inscriptions subtiles. En 2016, elle s’installe à Casablanca, au Maroc, où elle travaille dans le domaine de l’éducation. Réticente à abandonner la peinture, elle rejoint rapidement la Villa des Arts, où sa rencontre avec le peintre marocain Raji Said était évidente.
NAIMA SLIMI
Naima Slimi inaugure une nouvelle ère dans la peinture naïve. Habituellement réservé aux peintres autodidactes au Maroc, le terme est devenu synonyme de Chaibia Talal, Fatima Hassan Farrouj, et d’autres. Avec plus de 20 ans d’expérience dans le domaine de l’ingénierie culturelle et des études universitaires, notre nouvellement découverte artiste, Naima Slimi inaugure une nouvelle approche de l’art naïf. Au fait elle réconcilie une tradition picturale pratiqué par des femmes marocaines qui n’ont jamais été scolarisés avec la passion d’une femme marocaine diplômé qui revisite l’art naïf. Au fil des ans, Naima a organisé et coordonné des dizaines d’expositions. Elle a acquis une sensibilité que la formation académique ne pourrait jamais inculquer et un regard aiguisé pour détecter une œuvre d’art réussie. Tout comme Yassine Charki, Naima a toujours senti qu’elle pouvait peindre mais n’a jamais osé franchir la ligne sur la toile, vers le White Space. Cette année, elle a décidé de peindre. Plus que cela, elle l’a fait d’une manière telle que sa peinture crie la fraîcheur, l’authenticité et la sincérité : quand Naima peint, elle le fait avec cœur, exprimant les émotions les plus profondes de son âme. En le faisant, elle me rappelle les figures mystérieuses d’Aboulouakar. Elle utilise des couleurs primaires fortes et des personnages qui s’entrecroisent sans égard pour la perspective, les lignes géométriques ou l’équilibre. Ses œuvres d’art transcendent le monde réel et transportent le spectateur dans un monde de rêve, d’imagination et de surnaturel.
EL MEHDI ALLOUCHE
Outre son emploi officiel à la Fondation Mohammed VI, Mehdi est un Gnawi pendant son temps libre, un adepte de la célèbre musique marocaine aux racines africaines. Tout comme ses pairs, malgré sa fibre artistique, il n’a jamais pensé pouvoir peindre. À travers sa rencontre avec ce groupe talentueux et sous la tutelle de Said Raji, il a pu surmonter ses craintes et entrer dans le White Sapce. Dans son travail, Mehdi jongle avec l’abstraction, la figuration et la calligraphie, utilisant le vinyle et l’aquarelle. Contrairement à la plupart des débutants, au lieu de tenter de peindre sur de petites surfaces, Mehdi n’a pas hésité devant de grandes toiles, et le travail qu’il réalise en collaboration avec Yassine et Saïd nous donne une idée sur le potentiel qu’il recèle en lui. Mehdi est un bourgeon artistique talentueux à suivre avec attention… il pourrait facilement nous surprendre.
SAID RAJI
Said Raji est une figure emblématique de la jeune génération des peintres marocains. Particulièrement actif et fort d’une longue expérience artistique et pédagogique, il fait partie de ces artistes en vue qui infléchiront le devenir des arts plastiques au Maroc.
C’est en décrochant le 3ème prix du concours « MAROC 2006 »; qu’il attira l’attention. Depuis, sa présence devient active à travers ses participations multiples et remarquées dans différents festivals et autres manifestations culturelles, au Maroc et à l’étranger.
Après (Hollande), puis Berlin (Allemagne) en 2007, Raji participe au Salon International d’Art Contemporain à Bruxelles puis brille lors de l’Euro Med à Tournon sur Rhône en France en juin 2009. Aujourd’hui Raji impose une signature forte et se démarque par sa touche fraiche et toujours en quête d’un langage pictural innovant. Cela s’explique par la passion de la matière qui l’habite et par son acharnement à sonder les méandres du patrimoine de son pays a la recherche de ces lumignons qui éclaireront ses créations. C’est sa manière de traiter la question de la mémoire dans sa relation avec le présent.
Le style de Raji s’inscrit Aujourd’hui dans une pratique caractérisée par la stylisation géométrique. Son travail s’appuie sur la simplicité de la forme mixe a cette alchimie de la matière qui lui est propre et qui donne consistance et magie a ses œuvres.