Le silence coupable du gouvernement face aux accusations de conflits d’intérêts

Le silence coupable du gouvernement face aux accusations de conflits d’intérêts

abdellah bouano

par : Najiba Jalal

Les récentes déclarations d’Abdellah Bouanou, député du Parti de la Justice et du Développement (PJD), sur le projet de loi de finances 2025, ont jeté une lumière crue sur des pratiques que certains qualifieraient d’abus d’influence ou de favoritisme économique. Si ces allégations s’avèrent fondées, elles révèlent un fonctionnement gouvernemental qui sacrifie les priorités nationales sur l’autel d’intérêts privés. Si elles sont infondées, le gouvernement se doit d’y répondre avec clarté et transparence. Le silence, dans un cas comme dans l’autre, est un aveu d’échec.

 L’eau et l’emploi : des priorités reléguées

Dans son discours du 29 juillet, le roi Mohammed VI a clairement énoncé l’urgence de résoudre la crise de l’eau. Pourtant, selon Bouanou, le projet de loi de finances 2025 n’y consacre que 19 milliards de dirhams, alors qu’un précédent plan stratégique prévoyait un budget de 147 milliards. Un décalage qui soulève des interrogations : comment une crise aussi vitale peut-elle être négligée, alors même qu’elle a été érigée au rang de priorité nationale ?

La question de l’emploi est tout aussi préoccupante. Bouanou rappelle que le Maroc compte 4,3 millions de jeunes sans emploi ni formation. Une génération en déshérence, pour laquelle un plan d’urgence semble s’imposer. Pourtant, le budget dédié à cette problématique reste marginal : là où 14 milliards de dirhams seraient nécessaires pour un seul programme, le projet n’alloue qu’un maigre milliard.

Les lobbys au cœur des accusations

Mais le plus accablant réside dans les accusations de favoritisme économique. Bouanou cite le cas d’un importateur de miel, surnommé « Mol la3ssal », dont les droits d’importation auraient été drastiquement réduits de 40 % à 2,5 %. Il dénonce également des mesures favorisant un petit cercle d’entreprises dans l’importation de viandes, un secteur où les prix restent exorbitants malgré les promesses d’une baisse grâce à ces politiques.

Ces pratiques, si elles sont avérées, témoignent d’un profond dysfonctionnement, où des intérêts privés semblent prendre le pas sur le bien commun. Bouanou va jusqu’à évoquer des retards inexplicables dans la mise en œuvre de conventions cruciales, notamment deux traités internationaux de lutte contre la corruption, bloqués depuis plus de 14 mois.

Une problématique universelle : le poids des intérêts privés

Les propos de Bouanou résonnent bien au-delà des frontières marocaines. L’histoire récente regorge d’exemples où l’alliance entre intérêts privés et pouvoir politique a fragilisé les démocraties. En Italie, Silvio Berlusconi a utilisé son empire médiatique pour asseoir son pouvoir, au prix de scandales et de soupçons de conflits d’intérêts. Au Liban, Rafiq Hariri a bâti une machine économique et médiatique pour influencer la politique nationale, non sans controverse. En Géorgie, Bidzina Ivanishvili a démontré comment richesse et influence pouvaient remodeler un paysage politique à son avantage.

Ces exemples rappellent que lorsque les intérêts privés s’invitent dans les cercles du pouvoir, c’est souvent la confiance des citoyens qui en fait les frais.

Un devoir de transparence

Face à des accusations aussi graves, le gouvernement marocain ne peut se permettre de rester dans l’ombre. Il doit répondre aux questions soulevées par Bouanou : pourquoi les priorités vitales comme l’eau et l’emploi sont-elles si peu financées ? Pourquoi certains secteurs bénéficient-ils de traitements de faveur au détriment des consommateurs ? Pourquoi des conventions signées par le roi restent-elles bloquées si longtemps ?

Au-delà de ces interrogations, c’est une exigence de gouvernance exemplaire qui s’impose. Toute ambiguïté dans la gestion des affaires publiques alimente la défiance populaire et fragilise l’autorité des institutions.

Le gouvernement doit comprendre que son silence n’est pas une option. Il est attendu, et il est redevable. Parce que dans une démocratie, la transparence n’est pas une faveur accordée, mais un devoir incontournable.

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