L’affaire Taoufik Bouachrine, l’un des scandales les plus marquants de la sphère médiatique au Maroc, a mis en lumière des pratiques d’exploitation du pouvoir d’une gravité exceptionnelle. Condamné pour avoir abusé de son autorité pour exploiter sexuellement des femmes travaillant sous sa direction, Bouachrine a vu sa peine réduite grâce à un pardon royal. Toutefois, certains de ses défenseurs ont tenté de minimiser la gravité de ses actes en les qualifiant de « relations consenties ». Cette tentative de révision de la réalité soulève une question fondamentale : peut-on réellement parler de consentement dans un contexte où un déséquilibre de pouvoir manifeste existe ? Pour répondre à cette question, il est essentiel d’examiner l’affaire Bouachrine sous l’angle du droit comparé, en étudiant les législations marocaines et internationales qui régissent de telles situations.
Dans le cadre de cette affaire, la notion de consentement devient hautement problématique. En effet, l’exploitation sexuelle dans un environnement de travail, fondée sur l’abus de pouvoir, constitue une violation des droits humains fondamentaux, et ce, indépendamment de la prétendue volonté des victimes. Le Code pénal marocain, ainsi que les conventions internationales, répriment sévèrement l’exploitation sexuelle dans le cadre professionnel lorsqu’elle repose sur l’abus d’un pouvoir hiérarchique. Le droit marocain, à travers des articles comme l’article 486 du Code pénal, définit clairement l’exploitation sexuelle comme un crime, qu’elle soit accompagnée ou non de violence physique explicite. Cette approche est également partagée par plusieurs autres systèmes juridiques à travers le monde, qui rejettent fermement l’idée de consentement lorsque des rapports de pouvoir inégaux sont en jeu. Aux États-Unis, par exemple, le Civil Rights Act de 1964 interdit le harcèlement sexuel en milieu professionnel, en précisant que toute relation imposée sous la menace de sanctions professionnelles constitue une violation des droits civils. La Cour Suprême des États-Unis a d’ailleurs statué que les relations sous contrainte, où le consentement est obtenu par la menace de répercussions professionnelles, sont considérées comme non consenties.
En Espagne, le Code pénal de 1995, dans ses articles relatifs aux abus de pouvoir, stipule que toute relation fondée sur l’exploitation d’une position de force est qualifiée d’abus de pouvoir, même si l’une des parties semble accepter la relation. L’article 443 du Code pénal espagnol impose des sanctions sévères pour de telles pratiques, allant de peines de prison à des sanctions professionnelles, ce qui reflète une approche similaire à celle du droit marocain. En France, le Code pénal réprime également fermement le harcèlement sexuel et l’exploitation du pouvoir à travers l’article 222-33, qui considère toute tentative d’abus de pouvoir pour obtenir des faveurs sexuelles comme un crime, et ce, quelle que soit l’apparente volonté de la victime. Dans ces trois systèmes juridiques, le consentement est annulé dès lors qu’un abus de pouvoir est en jeu, une position qui rejoint celle du Maroc.
Cette perspective internationale met en évidence que la tentative de présenter les actes de Bouachrine comme des « relations consenties » constitue une distorsion des faits, qui ignore délibérément l’impact de l’abus de pouvoir sur le consentement. Les lois marocaines, tout comme les législations américaines, espagnoles et françaises, s’accordent à dire que toute relation professionnelle ou hiérarchique marquée par un déséquilibre de pouvoir ne peut être considérée comme consentie. Le consentement dans un tel cadre devient en réalité un acte de soumission, dicté par la peur des conséquences professionnelles.
Les stratégies de défense qui ont cherché à minimiser la gravité de l’affaire en niant l’existence des abus ou en attaquant la crédibilité des victimes ne relèvent pas seulement de l’aveuglement volontaire, mais aussi d’un mépris flagrant pour les souffrances endurées par ces femmes. Ces tentatives de manipulation visent à légitimer des comportements condamnés universellement et à réhabiliter une personne dont les actes ont été clairement établis par la justice. Ce type de défense ne se contente pas de protéger Bouachrine, il sert également à affaiblir la crédibilité des institutions judiciaires marocaines et à semer la confusion dans l’opinion publique.
Les faits sont pourtant clairs : les actes de Bouachrine relèvent d’une exploitation systématique de son pouvoir. En tant que directeur de presse, il avait la possibilité de contrôler les carrières et les perspectives professionnelles de ses subordonnées, rendant toute relation avec elles marquée par une pression hiérarchique insupportable. La vérité, soutenue par des preuves irréfutables, est bien que le consentement dans ces circonstances n’a aucune légitimité.
L’affaire Bouachrine dépasse donc le cadre de l’individu pour interpeller toute la société marocaine sur la nécessité de protéger les plus vulnérables et de combattre l’abus de pouvoir sous toutes ses formes. Ceux qui cherchent aujourd’hui à réécrire l’histoire en la présentant comme une question de « relations consenties » insultent non seulement les victimes, mais aussi les valeurs fondamentales de justice et d’égalité qui devraient régir les rapports sociaux. Cette affaire constitue une leçon sur l’importance d’appliquer sans ambiguïté les principes de dignité et de justice. Le Maroc, comme toutes les nations modernes, doit continuer de réaffirmer que l’exploitation du pouvoir pour des fins sexuelles ne peut jamais être justifiée, et que toute tentative de dissimulation ou de révision de la réalité d’un crime aussi manifeste doit être rejetée avec force.