Lors de sa visite à Moscou, Abdelatif Hammouchi ne représentait pas seulement un organisme de sécurité, mais il portait également avec lui une nouvelle vision du positionnement du Maroc dans un monde en pleine mutation. Ces trois jours de discussions, à un moment international délicat, signalent un changement subtil dans la façon dont Rabat appréhende les relations internationales, notamment dans l’établissement de relations multipolaires sans tomber dans le piège des alignements ou de la dépendance.
Cette visite n’était pas protocolaire. Son contenu sécuritaire immédiat ne saurait faire ombre à ses dimensions politiques profondes. Le contexte international est tendu, l’opposition entre l’Occident et la Russie atteignant son paroxysme, tandis que le paysage géopolitique subit une restructuration violente depuis le début de la guerre en Ukraine. La visite d’un responsable de sécurité marocain à Moscou à ce moment précis revêt une signification stratégique indéniable.
Le Maroc est conscient que l’ancien ordre mondial est en déclin, et que la dualité entre l’Occident et l’Orient ne gouverne plus le monde comme auparavant. Les alliances fixes ne suffisent plus, ni les réseaux de partenariat traditionnels. Rabat, qui a acquis une expérience considérable en matière de collaboration avec les services de renseignements occidentaux, en particulier européens et américains, s’oriente désormais vers une diversification de ses alliés, d’une posture de force plutôt que de faiblesse, et d’un rôle d’acteur plutôt que de spectateur.
Le système de sécurité marocain ne se contente plus d’être un simple gardien. Il s’est transformé en un véritable outil diplomatique. L’expertise marocaine dans le démantèlement des cellules terroristes et le maintien de la stabilité dans un environnement régional fragile est devenue une ressource stratégique prisée par les puissances internationales à la recherche de partenaires fiables au sud de la Méditerranée et en Afrique. La Russie, confrontée à des défis de sécurité complexes à ses frontières sud, perçoit l’importance de l’expérience marocaine, notamment en matière de suivi des réseaux liés à des foyers de tension tels que la Syrie, l’Irak et la région du Sahel.
Cependant, l’importance de la visite ne réside pas uniquement dans la coopération en matière de renseignement. L’agenda présenté par Hammouchi a également englouti des thèmes tels que la cybersécurité, la lutte contre les menaces transnationales, et la surveillance des mouvements extrémistes dans des contextes instables. Le Maroc aborde ces sujets comme un partenaire majeur, non seulement parce qu’il dispose d’informations, mais parce qu’il possède un cadre opérationnel ayant prouvé son efficacité, alliant rigueur sécuritaire et respect des droits, un équilibre rare dans la région.
Il y a aussi une dimension symbolique non négligeable. Rabat envoie un message implicite à ses partenaires occidentaux : nous préservons nos relations historiques, mais nous ne sommes pas prisonniers d’elles. L’indépendance de la décision marocaine ne signifie pas une rupture, mais plutôt que le royaume dispose d’une large marge de manœuvre, capable de travailler avec des acteurs divers sans trahir ses principes ou ses intérêts vitaux.
Cette dynamique reflète un changement dans la doctrine stratégique du Maroc. Il ne s’agit plus seulement d’assurer la protection par le biais d’alliances nordiques, mais de bâtir une position propre au sein des transformations en cours. Rabat gère un réseau de relations multidirectionnels et utilise ses ressources sécuritaires, économiques et diplomatiques pour établir un positionnement indépendant, renforçant sa souveraineté tout en élargissant sa capacité de négociation, faisant d’elle un acteur incontournable dans des dossiers complexes tels que la migration, la lutte contre le terrorisme, et la sécurité dans le Sahel et le Sahara.
La visite de Hammouchi s’inscrit dans ce contexte. Elle prolonge une dynamique plus vaste dans laquelle Rabat réorganise ses priorités, ouvre de nouvelles lignes de communication et explore de nouvelles zones d’influence sans renoncer à ses acquis historiques. Le Maroc ne change pas ses alliances, mais les développe et les place sous le signe d’un intérêt national qu’il maîtrise avec pragmatisme.
En somme, ce que Hammouchi a porté à Moscou n’est pas qu’un ensemble de dossiers sécuritaires, mais une vision d’un nouveau rôle marocain dans un monde aux centres de décision multi-facettes. Une vision qui allie réalisme stratégique et ambition souveraine, tout en misant sur des outils à la fois robustes et flexibles.