Dialogue hispano-marocain sur l’incident de Torre Pacheco : la mémoire partagée entre les blessures du présent et l’horizon de la réconciliation méditerranéenne

Dialogue hispano-marocain sur l’incident de Torre Pacheco : la mémoire partagée entre les blessures du présent et l’horizon de la réconciliation méditerranéenne

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Nous abordons ici l’agression du citoyen espagnol Domingo dans la localité de Torre-Pacheco, ainsi que les réactions extrêmes suscitées tant en Espagne qu’au Maroc. Notre analyse se concentre sur les échanges réciproques autour de cet incident entre des acteurs des deux rives de la Méditerranée. Nous nous basons sur les déclarations émises, en particulier celle du « Centre de mémoire commune pour la démocratie et la paix », ainsi que sur la correspondance échangée entre un militant des droits humains marocain et un journaliste espagnol conservateur, afin de réfléchir au concept de « mémoire commune » et de mettre en lumière comment les divergences peuvent se transformer en moments de fondation, non pas pour détruire des ponts, mais pour les reconstruire.

À une époque où les tensions culturelles et politiques entre le nord et le sud de la Méditerranée se renforcent, la mémoire est rappelée non pas comme un outil de compréhension, mais comme une arme justificatrice. L’incident de Torre-Pacheco, où un citoyen espagnol âgé a été attaqué par trois jeunes d’origine marocaine, a ouvert la voie à un débat qui dépasse le cadre de la seule criminalité, englobant les représentations de l’immigration, les modes de coexistence et le sens du « vivre ensemble » dans un contexte marqué par la vulnérabilité et la transformation.

L’importance de l’incident ne réside pas seulement dans les détails factuels, mais aussi dans les discours contradictoires qu’il a suscités. D’une part, des voix d’extrême droite ont appelé à une condamnation stricte, associant l’agression à l’identité d’origine des assaillants. D’autre part, des voix marocaines, tant sur le plan des droits humains qu’intellectuel, ont tenté de déconstruire les contextes plus vastes de l’incident, tout en analysant ses implications symboliques et politiques sans tomber dans le piège de la justification.

Le communiqué émis par le Centre de mémoire commune, dans sa version axée sur les droits humains, n’a pas négligé l’aspect humain, mais a élargi la perspective pour inclure les dynamiques structurelles de la violence et du racisme. En revanche, le journaliste espagnol conservateur a exigé une condamnation claire, estimant que toute tentative de contextualisation culturelle affaiblirait la position morale.

La mémoire commune, dans le contexte maroco-espagnol, est devenue un domaine miné : des guerres du Rif au colonialisme, de l’Andalousie à l’immigration, les récits officiels et populaires s’opposent sur l’interprétation du passé.

Cependant, le défi ne réside pas tant dans ce qui s’est passé que dans la manière dont nous le reformulons aujourd’hui. Évoquons-nous la mémoire pour condamner l’autre et tirer profit de sa douleur, ou en extrayons-nous des fondations pour un dialogue renouvelé ? C’est pourquoi s’impose la nécessité d’activer la Commission « Ibn Rushd » non pas seulement comme une instance symbolique, mais en tant qu’outil de déconstruction, de réconciliation et de dialogue.

Les acteurs de l’extrême droite sur la rive nord considèrent que « le danger » provient de l’immigrant et que « le crime » est ancré dans ses gènes culturels. En retour, le communiqué du centre marocain propose une vision inverse : la violence n’est pas seulement physique, mais aussi symbolique et institutionnelle, alimentée par des discours d’incitation, de mépris et un espace public pollué.

La réponse profonde réside dans un triomphe de la compassion, perçue comme l’antithèse d’une punition collective, et dans l’invocation de valeurs d’ « échange mutuel » (comme le théorise Axel Honneth) plutôt que dans la réduction de l’autre à des stéréotypes.

Ce que beaucoup n’ont pas remarqué, c’est que le débat entre le centre des droits marocains dirigé par Abdel Salam Boutib et le journaliste espagnol n’était pas tant un conflit qu’un rare exercice de dialogue, même teinté de reproches. Le centre marocain des droits de l’homme n’a pas refusé la condamnation, mais a appelé à un contexte plus large pour celle-ci, tandis que le journaliste espagnol a exprimé une préoccupation éthique légitime, tout en ignorant la structure incitative qui régit l’espace public. Ici se pose la véritable question : comment tolérer nos différentes interprétations de la réalité sans cesser de bâtir un commun plus large ?

L’événement de Torre-Pacheco dépasse le cadre d’une simple incident : c’est un test pour la conscience méditerranéenne. Entre ceux qui voient dans le crime une raison de division et ceux qui le considèrent comme une entrée à la discussion, la mémoire commune demeure un champ de lutte entre deux logiques : celle de l’exclusion et celle de la fondation.

La relation maroco-espagnole nécessite un approfondissement qui va au-delà d’un simple pardon conjoncturel ou d’une déclaration de solidarité. Elle a besoin d’une « volonté de coexistence », celle qui ne soumet pas l’autre ni ne le juge sur la faute d’un individu, mais qui le voit comme un partenaire dans la douleur et l’espoir. Telle est, en fin de compte, la fonction de la mémoire réconciliée : raconter la souffrance pour sauver ce qui reste d’humanité en nous, et considérer ce que le journaliste espagnol a fait dans sa réponse comme le début de ce débat.

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