Les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Il faut qu’on laisse le temps au temps.

Les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Il faut qu’on laisse le temps au temps.

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les idées

Par : Sabri Anouar

Il y a des moments où la politique semble courir plus vite que la raison, où le tumulte du présent prétend dicter l’avenir avant même d’avoir compris le passé. Ces moments d’impatience collective, de confusion entre l’instant et la durée, rappellent que le temps est la première matière du politique, et peut-être aussi la plus méconnue. Gouverner, ce n’est pas seulement administrer ou décider ; c’est inscrire une trajectoire dans la durée, accepter que l’œuvre publique se juge au rythme lent de ses fruits, non à la vitesse des émotions.

Le temps comme fondation

« Les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Il faut qu’on laisse le temps au temps. » disait François Mitterrand.

Cette phrase, souvent répétée sans être comprise, résonne aujourd’hui avec une acuité particulière. Dans une époque où les jugements s’énoncent en 280 caractères, où chaque silence est interprété comme un aveu, où chaque réforme est sommée d’être rentable avant d’être visible, l’idée même de laisser le temps au temps devient un acte politique en soi. C’est une discipline, une résistance, presque une philosophie des gouvernements. Car le temps ne se subit pas ; il se construit, il s’habite, il s’ordonne.

Il est, à bien des égards, la jonction entre mémoire et projection. Aristote s’interrogeait déjà : le temps fait-il partie des choses qui sont, ou de celles qui ne sont pas ? Composé du passé et de l’avenir, il semble insaisissable, puisqu’il ne reste que l’instant présent, ce point imperceptible où tout s’évanouit et tout commence.

La politique, au fond, est un art du tempo. Elle a ses saisons, ses cycles, ses semailles et ses récoltes.

Le Maroc vit aujourd’hui une de ces périodes de transition silencieuse où le bruit des réseaux couvre parfois la voix des réformes. Pourtant, derrière les polémiques et les appels au vacarme, se poursuit une transformation structurelle de notre pays : dans la santé, l’éducation, la protection sociale et la numérisation des services.
Ce sont des chantiers qui ne s’évaluent ni à l’instant, ni à la semaine, ni même à l’année, mais à l’échelle d’une génération.

Le grand maître du temps

Pierre Corneille, bien avant nos démocraties modernes, avait cette formule prodigieuse :
« Donnons ordre au présent ; et quant à l’avenir, suivant l’occasion nous saurons y fournir. Le temps est un grand maître, il règle bien des choses. »

La politique marocaine, depuis ces dernières décennies, s’est précisément construite dans cet esprit. Elle n’a jamais été un théâtre de l’instant. Elle s’est définie par des pas sûrs, des réformes ancrées, des équilibres préservés. Et c’est peut-être là que se joue aujourd’hui l’essentiel : résister à la tentation du court terme, maintenir l’ordre du présent pour rendre possible l’avenir.

L’écho de Mai 68

Ce n’est pas la première fois qu’une génération exprime sa colère à travers des slogans simples et des exigences totales. En mai 1968, la jeunesse française criait « Tout est politique », et croyait que tout pouvait être renversé. L’histoire lui a appris ensuite que tout ne pouvait pas être transformé d’un coup, mais qu’un pays changeait plus profondément par la lente infusion des idées que par la vitesse des slogans.

Le Maroc, aujourd’hui, vit une secousse de la jeunesse, portée par une génération impatiente et connectée, mais parfois déconnectée du temps politique. Leur exigence d’écoute est légitime ; leur appel à la rupture permanente l’est moins. Car la démocratie ne se nourrit pas d’interruptions, mais de continuité. Et l’État, dans sa sagesse, ne répond pas au tumulte par l’abandon, mais par la constance.

Les manifestations récentes ont révélé cette tension : celle d’une jeunesse en quête de visibilité et d’un pouvoir en quête de cohérence. On y a entendu de vraies colères, mais aussi de fausses radicalités. La société marocaine change ; ses institutions, elles, apprennent à changer sans se rompre. C’est là tout le sens du temps politique : transformer sans détruire.

Le temps constitutionnel

Certains, dans la précipitation des émotions, ont cru pouvoir invoquer le départ du gouvernement comme on appuie sur un bouton. Mais le droit, comme la sagesse, n’obéit pas à la pulsion. La Constitution de 2011 a précisément établi un équilibre : elle protège la stabilité du gouvernement tout en prévoyant les mécanismes de responsabilité. L’idée même que l’exécutif puisse être renversé à chaque vent contraire est contraire à la logique de l’État.

Les juristes l’ont rappelé : un gouvernement ne tombe pas sur un mot d’ordre, ni sur un hashtag. Il se retire par des procédures, par des mécanismes institutionnels clairs : motion de censure, démission, recomposition parlementaire. Tout autre scénario appartiendrait à la fiction ou à l’arbitraire. Et l’arbitraire, dans un Maroc de lois, n’a plus sa place.

Cette lecture froide du droit n’est pas un refus de l’émotion populaire. Elle en est la condition. Car un État solide, c’est d’abord un État où la colère peut s’exprimer sans faire vaciller les institutions. La stabilité n’est pas un luxe ; c’est le premier bien commun d’une nation. Ceux qui l’oublient confondent la vitesse avec la vitalité.

L’histoire des contestations et la leçon du temps

Chaque société a ses soubresauts. Le Maroc a connu les siens : le souffle du Printemps arabe en 2011, les revendications sociales du Rif en 2016, l’élan de solidarité après le séisme d’Al Haouz, et aujourd’hui cette agitation de la génération numérique. À chaque fois, le pays a répondu avec une singularité : en corrigeant sans casser, en adaptant sans abdiquer.

Cette mémoire du réformisme patient distingue le Maroc de bien des nations voisines. Elle explique pourquoi, malgré la tension, l’État n’a pas cédé au réflexe autoritaire ni à la panique politique. Le pays continue de se transformer par couches successives ; son modèle de gouvernance reste évolutif, mais ordonné. Le temps est sa méthode, la stabilité son outil.

Le court terme, cette illusion tenace

Dans le tumulte récent, certains acteurs politiques ont cru bon d’occuper la scène avec des mots pressés, parfois plus soucieux de visibilité que de vision. D’autres, au sein même de la coalition, ont surfé sur la vague avec l’espoir de s’en sortir indemnes. Cette tentation du coup politique, qui confond communication et gouvernance, n’est pas nouvelle. Mais elle se paye toujours, tôt ou tard, par la perte de crédibilité.

Le Maroc n’a pas besoin de stratèges de circonstance. Il a besoin de constructeurs. Ceux qui travaillent pour l’écho immédiat récoltent l’oubli. Ceux qui bâtissent dans le silence récoltent la trace.
L’opposition, quant à elle, trouve dans chaque crise un miroir commode. Mais un miroir ne produit pas de lumière ; il ne fait que la refléter. Critiquer est facile ; construire demande du temps. Et c’est peut-être cela, aujourd’hui, la fracture essentielle de notre vie politique : entre ceux qui pensent en cycles électoraux et ceux qui pensent en cycles historiques.

Le métronome du gouvernement

Depuis quatre ans, ce gouvernement a choisi un cap difficile mais clair : celui des réformes structurelles, de la rationalisation budgétaire et de la numérisation des services. Il avance au rythme du possible, non à celui du souhaitable.

Le chantier de la santé, en particulier, symbolise cette lenteur, pas toujours nécessaire. Digitaliser un système, c’est transformer une culture, des réflexes et des mentalités. Cela ne se fait ni par décret ni par post, mais par un travail patient d’alignement et d’apprentissage. Il en va de même pour l’éducation, la protection sociale ou l’emploi des jeunes. Ce sont des réformes de fond qui exigent des années pour que leurs effets deviennent visibles.

Ce rythme, souvent moqué, est pourtant celui du réel. La notion de temps des résultats n’est pas celle des annonces.

La retenue comme signature

Dans ce climat où la parole sature l’espace, la retenue ou le silence deviennent une force.

Aziz Akhannouch incarne cette retenue que d’aucuns confondent avec de la distance, du mutisme politique. Mais il faut savoir que dans l’histoire, les plus grands ne sont pas toujours les plus bavards. Il y a ceux qui commentent les tempêtes, et ceux qui maintiennent le cap.

Son style, discret et concentré, s’inscrit dans la tradition des hommes d’État qui préfèrent parler par actes. Qui choisissent le bon moment. Loin du populisme de circonstance, cette posture s’ancre dans une conviction : que le temps est un allié fidèle des politiques sincères.

Ce n’est pas le verbe qui sauve un mandat, c’est la trace qu’il laisse dans la réalité des gens.

L’histoire retiendra toujours ceux qui ont su donner du sens à la durée, pas ceux qui ont tenté d’en tirer profit.

Leçon du moment

Les semaines passées ont révélé deux Maroc : celui de l’impatience et celui du travail. Entre les deux, il ne s’agit pas de choisir un camp, mais un horizon. L’un regarde le présent comme une fin en soi, l’autre comme un passage. L’un exige tout, tout de suite ; l’autre construit pour que ce tout existe demain.

C’est ici que se joue la maturité politique du pays : dans la capacité à conjuguer exigence et patience, lucidité et fidélité. Gouverner, ce n’est pas promettre d’effacer le temps, c’est apprendre à le dompter.

La jeunesse, elle, doit comprendre que sa voix compte, mais qu’elle ne peut être entendue que si elle s’inscrit dans un projet collectif. La rue peut alerter, mais seule la durée construit. Les mobilisations doivent trouver leur prolongement dans l’engagement, la participation, la proposition.

C’est cela aussi, la démocratie : un dialogue entre le battement du cœur et le rythme du temps.

Le Maroc dans sa continuité

Notre pays a une singularité rare dans son environnement : il change sans se renier. Sous la conduite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que dieu l’assiste, les transitions se font sans cassures, les réformes avancent sans vaciller. La stabilité du Maroc n’est pas le fruit du hasard, mais celui d’une culture de l’équilibre et du respect du temps long et ses autres expressions de temporalités selon la circonstance.

Les institutions fonctionnent, les lois encadrent, la politique ajuste. C’est un système perfectible, mais vivant. Et c’est précisément parce qu’il vit dans la durée qu’il résiste à l’usure.
Le Maroc n’a jamais eu besoin de révolutions pour se réformer ; il a préféré les révolutions silencieuses et les réformes profondes. Celles qui transforment sans détruire. Celles qui s’inscrivent dans le sillage de la continuité.

La mesure du temps

« Donnons ordre au présent ; et quant à l’avenir, suivant l’occasion nous saurons y fournir. Le temps est un grand maître, il règle bien des choses. »
Le vers de Corneille résonne comme une prière civique.

Le Maroc, aujourd’hui, ordonne son présent. Il avance dans la complexité du monde sans céder à la panique des émotions. Et cette retenue, cette maîtrise, cette constance sont peut-être la plus belle expression de sa maturité politique.

Le temps, s’il est bien employé, ne retarde pas l’histoire : il la rend durable.

Et dans le vacarme des impatiences, c’est parfois le silence des bâtisseurs qui dit le plus sur l’avenir d’une nation.

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