Prolongation de l’état d’urgence: La délivrance d’un « bon pour pouvoir » dangereux pour les libertés fondamentales inquiète les juristes.

Prolongation de l’état d’urgence: La délivrance d’un « bon pour pouvoir » dangereux pour les libertés fondamentales inquiète les juristes.

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Le 10 juin, le gouvernement annonce le prolongement de l’état d’urgence avec des mesures d’allègement du confinement laissées à l’appréciation discrétionnaire du ministre de l’intérieur et ses walis et gouverneurs. Autrement dit, ils ont désormais le pouvoir d’agir, de s’abstenir ou de décider avec une marge plus ou moins grande de liberté, en fonction de leur appréciation de l’opportunité.

Le citoyen marocain, quand à lui, se trouve, dans le cas d’une privation de liberté sans aucune connaissance de ses limites ni des mesures à respecter.

Une situation qui a suscité une vive réaction sur les réseaux sociaux mais pas seulement! Maître Jihad Agouram Avocat au barreau de Casablanca vient d’adresser une lettre ouverte au chef du gouvernement, tirant la sonnette d’alarme et rappelant que l’état d’urgence porte atteinte aux libertés fondamentales des marocains et viole un principe constitutionnel.

Dans une interview accordée à l’Express Tv, Maître Agouram explique les enjeux de cette décision.

Dans votre lettre ouverte au chef du gouvernement, vous le remerciez de mettre le sort des marocains entre les mains du ministère de l’intérieur. Pour vous en tant qu’homme de droit, qu’est ce que cela implique?

Actuellement, la situation se présente comme suit : faisant appel aux pouvoirs dont il est doté en vertu du décret-loi 2-20-292, le Chef du Gouvernement a pris quatre mesures restrictives des droits et libertés des individus, notamment, l’interdiction de quitter les domiciles, l’interdiction de déplacement de toute personne hors son domicile sauf dans quatre exceptions limitatives, l’interdiction de tout rassemblement, attroupement ou réunion d’un groupe de personnes quel qu’en soit le motif sauf pour les réunions tenues à des fins professionnelles et la fermeture des commerces et autres établissements recevant le public. Ces mesures ont été prises par voie du décret 2-20-293 du 24 mars 2020 portant déclaration de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour faire face à la propagation du covid 19.

Le décret 2-20-406 du 9 juin 2020 ayant prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020, a autorisé le Ministre de l’intérieur, les Walis et les Gouverneurs, selon les cas, à prendre les dispositions nécessaires en vue d’assouplir lesdites mesures et restrictions décrétées le 24 mars 2020. Concrètement, les libertés des individus dépendent, d’ici le 10 juillet 2020 à 18h et à moins que cette date ne soit modifiée, du Ministre de l’intérieur, des Walis et des Gouverneurs.

Vous déclarez dans cette lettre ouverte que les mesures prises pendant cette période de confinement dénotent d’une grande anarchie des acquis constitutionnels du pays, comment cela aurait dû se passer ? Quelle forme juridique devraient prendre les décisions futures de gestion de cette phase de l’intérieur selon vous ?

L’article 6 de la Constitution a affirmé “le principe d’obligation de publication des normes juridiques”. En d’autres termes, une règle de droit ne saurait avoir application si elle n’est pas publiée. Sur un plan légal, le Bulletin official (BO) est le support habilité à publier les textes législatifs et réglementaires et ce, tel qu’il ressort du décret 2-80-52 relatif aux éditions du Bulletin officiel.

C’est cette publication officielle qui rend la norme juridique applicable et qui permet d’asseoir le principe général selon lequel nul n’est censé ignorer la loi. Or, si le décret déclarant l’état d’urgence sanitaire a bel et bien été publié sur le BO, ça n’a pas été le cas des autres supports contenant les différentes normes juridiques qui ont défilé depuis mars dernier. A titre d’exemple, l’obligation du port des masques ne figure sur aucun texte publié sur le BO. Aussi et contrairement à ce que l’on a amplement rapporté, le BO ne contient aucun texte, de quelle que nature que ce soit, fixant les heures du couvre-feu. Tel est aussi le cas de certaines “obligations” auxquelles serait assujettie la reprise des activités.

Cependant, un avocat se doit de s’assurer de l’existence et de l’origine de la règle de droit applicable à son mandant. La seule manière, sur un plan légal toujours, est de consulter le texte contenant cette norme tel qu’il a été publié sur le BO. Ce problème prendra des proportions plus importantes lors de la prochaine période. En effet, le décret du 9 juin 2020 a autorisé, notamment, le Ministre de l’intérieur à assouplir les restrictions décrétées le 24 mars 2020 et ce, d’ici le 10 juillet 2020. C’est dans ce cadre qu’un communiqué conjoint des Ministres de l’intérieur et de la santé a été relayé par les médias en date 9 juin 2020. La forme de ce document laisse à désirer: édité sur un papier sans entête, sans logo des ministères, sans cachet et sans aucune signature. Un avocat sera certainement embarrassé à se baser sur ce document pour construire sa stratégie de défense. Littéralement parlant, ce document est “non identifié”.

Juridiquement, il est sans effet. En tout état de cause, une décision réglementaire, porteuse d’une norme juridique, ne peut avoir d’effet tant qu’elle n’a pas été publiée sur le BO. Tout en remerciant les médias pour le rôle qu’ils ont rempli depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, ce n’est pas sur les supports médiatiques qu’un juriste peut puiser la règle de droit. C’est cette anarchie de non-publication officielle des textes créant et modifiant les normes juridiques portant, selon les cas, soit la restriction des droits et libertés ou l’assouplissement des mesures restrictives prévues par le décret du 24 mars 2020, que je déplore. C’est à cette anarchie qu’il y a lieu de mettre un terme puisque les individus sont amplement fondés d’exiger à être parfaitement et complètement informés des droits et libertés dont ils peuvent finalement jouir, après une privation qui a duré trois mois environ.

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