Par Me Anas Segam
Incontestablement, la flambée épidémique du virus dit « Covid-19 » a notablement affaibli plusieurs secteurs sur lesquels repose l’économie nationale du Royaume du Maroc et le secteur BTP ne fait pas l’exception.
Bien que la poursuite des travaux de chantiers ait été toujours autorisée par les autorités gouvernementales et administratives en période d’état d’urgence sanitaire, il n’en demeure pas moins que plusieurs facteurs ont contribué au déclin du secteur et qui se matérialisent notamment dans l’indisponibilité de la matière due à la fermeture temporaire de nombreuses usines de production ou encore, pour celles dont l’activité ait été toujours maintenue, dans l’exigence requise par ces dernières de recevoir un acompte – si ce n’est l’intégralité du paiement – à la commande desdites matières, condition à laquelle la majorité des entreprises œuvrant dans le secteur ne pourront se plier pour insuffisance de fonds.
L’affolement provoqué par l’éclosion du virus et par l’instauration de l’état d’urgence sanitaire constitue également un facteur majeur du déclin du secteur BTP puisque cette agitation citoyenne aboutira à un exode massif des ouvriers de chantier. De surcroît, l’interdiction des déplacements entre les différentes villes ne fût qu’amplifier le gouffre en rendant impossible le déplacement des travailleurs disposés à occuper les chantiers de construction en pleine crise sanitaire.
Il va sans dire que les retentissements de ces statistiques alarmantes se sont inéluctablement fait ressentir aussi bien au niveau de l’exécution des contrats conclus dans le secteur privé qu’au niveau des marchés passés dans le secteur publique du BTP.
Le contrat le plus usité par les acteurs dudit secteur, ou à tout le moins l’un des principaux contrats, et dont l’exécution fût bouleversée par la survenance de l’épidémie et par le biais duquel les projets immobiliers et les infrastructures appartenant au domaine public voient le jour est le contrat d’entreprise et plus spécialement, le contrat d’entreprise de construction .
1. Qu’est-ce qu’un contrat d’entreprise de construction ?
Le contrat d’entreprise de construction est la convention par laquelle un entrepreneur s’oblige contre rémunération à exécuter la construction d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol – dit maître de l’ouvrage – et cela, de façon indépendante et sans représenter son cocontractant. Ce contrat est qualifié au sens du deuxième alinéa de l’article 723 du Dahir des Obligations et des Contrats de « louage d’ouvrage » – dit aussi contrat d’entreprise. Le même alinéa en définit la notion et dispose que « Le louage d’ouvrage est celui par lequel une personne s’engage à exécuter un ouvrage déterminé, moyennant un prix que l’autre partie s’engage à lui payer ».
2. Quelle est l’incidence de la Covid-19 sur l’exécution des obligations de l’entrepreneur et du maître de l’ouvrage ?
L’entrepreneur a pour principale obligation de délivrer l’ouvrage conformément au plan de construction et dans les délais prévus au contrat d’entreprise de construction au maître de l’ouvrage. Ceci dit, la survenance de l’épidémie pourrait retarder voire même compromettre l’achèvement de la construction notamment pour cause d’absence de main-d’œuvre ou d’indisponibilité de matière.
De surcroît, l’obligation de résultat à laquelle est tenu l’entrepreneur le placerait de manière systématique en situation de défaillance contractuelle en cas d’inexécution partielle ou totale, de mauvaise exécution ou de retard dans l’exécution de ses obligations.
En ce qui concerne les obligations du maître de l’ouvrage, il se peut que celui-ci soit tenu conventionnellement de fournir à l’entrepreneur la matière nécessaire à la réalisation de l’ouvrage.
Le respect d’une telle obligation pourra être compromis étant donné que la même incommodité afférente à l’indisponibilité des matières de construction et à laquelle l’entrepreneur aurait pu être confronté pèsera désormais sur le maître de l’ouvrage.
Le maître de l’ouvrage pourra également être défaillant à son obligation contractuelle relative au paiement du prix de la prestation à l’entrepreneur pour motif d’insuffisance de fonds due à la situation financière critique du maître de l’ouvrage et qui aurait principalement pour cause la propagation du virus « Covid-19 » au sein du Royaume dont les effets sur l’économie nationale n’ont été que ravageurs.
3. Les parties peuvent-elles se prévaloir de la Covid-19 comme cas de force majeure ?
Tout d’abord, il est utile de préciser que la force majeure n’exonère la partie défaillante que du paiement des dommages-intérêts dus au créancier contractuel et cela, conformément à l’article 268 du D.O.C.
Deuxièmement, la survenance de la « Covid-19 » n’est pas constitutive en soi d’un cas de force majeure étant donné que cette survenance n’est descriptive d’aucune conséquence juridique sur l’exécution du contrat. Il sera ainsi nécessaire, pour se prévaloir de la « Covid-19 » comme cas de force majeure, d’invoquer le résultat provoqué par cet évènement ainsi que son incidence sur l’exécution des prestations du contrat.
Il peut s’agir, à titre d’exemple, de l’infection des travailleurs de chantier par le virus ce qui affectera la progression des travaux ou immobilisera carrément le chantier de construction, comme il peut également s’agir de décisions émanant des pouvoirs publics notamment de celles interdisant les déplacements entre les différentes villes du Royaume, décision qui pourra contribuer à l’inexécution des obligations de l’entrepreneur étant donné que ladite interdiction empêchera ce dernier de recourir à une main-d’œuvre en provenance de régions différentes.
Troisièmement, pour que les parties puissent se prévaloir de la survenance de la « Covid-19 » comme cas de force majeure justifiant l’inexécution de leurs obligations respectives, il sera nécessaire que la « Covid-19 » et son résultat revêtent cumulativement un caractère :
Imprévisible : C’est-à-dire qu’au moment de la conclusion du contrat d’entreprise de construction, la survenance de la « Covid-19 » ne pouvait être connu par le débiteur contractuel.
Irrésistible : On entend par l’irrésistibilité que la survenance de l’évènement rende impossible l’exécution des prestations du débiteur contractuel.
Hors du contrôle du débiteur : Ce critère implique pour le débiteur de ne pas avoir une emprise sur l’évènement en question.
4. Quels sont les effets de la qualification de la « Covid-19 » en force majeure sur l’exécution du contrat d’entreprise de construction ?
La qualification de la survenance de la « Covid-19 » en force majeure produira différents effets sur l’exécution du contrat d’entreprise de construction et ce, en fonction du résultat et de la nature de l’impossibilité provoqués par cet évènement.
Comme premier cas de figure, il se peut que la survenance de la « Covid-19 » provoque un résultat rendant impossible l’exécution du contrat d’entreprise de construction auquel cas, étant bloqué, ce dernier sera résolu de plein droit.
En deuxième lieu, il se peut également que la survenance de la « Covid-19 » provoque comme résultat un évènement rendant partiellement impossible l’exécution des obligations du débiteur contractuel, le créancier aura le choix de recevoir l’exécution partielle des prestations du débiteur ou de procéder à la résolution du contrat d’entreprise de construction.
Finalement, Il se peut que la survenance de la « Covid-19 » ait pour résultat un évènement rendant temporairement impossible l’exécution des obligations du débiteur contractuel. L’exécution du contrat d’entreprise de construction sera, dès lors, suspendue pendant ladite période d’impossibilité. Toutefois, cette suspension n’est prévue ni par le régime spécial du louage d’ouvrage ni par les règles de droit commun. Celle-ci devra, dès lors, être décidée d’un commun accord par les parties.
5. Que peuvent prévoir le maître d’ouvrage et l’entrepreneur afin de pallier les difficultés afférentes à la survenance de la « Covid-19 » et à même d’affecter la poursuite des travaux de chantier ?
Dans l’effort de pallier les difficultés d’exécution ou les impossibilités d’exécution pouvant résulter de la survenance de la « Covid-19 », le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur pourront envisager de renégocier les termes du contrat d’entreprise de construction afin de l’adapter aux conditions particulières inhérentes à l’éclosion de la pandémie par l’insertion de clauses contractuelles à même de mitiger les effets attentatoires du virus sur l’exécution du contrat.
L’on peut penser notamment à la clause de force majeure dont l’intérêt sera de permettre aux parties de décider du sort du contrat en fonction du résultat prévu et produit par la survenance de la « Covid-19 ». Les parties pourront notamment prévoir un délai pendant lequel l’exécution du contrat d’entreprise de construction sera suspendue. Plus fréquemment, les parties conviendront d’un délai qui, si durant lequel le motif de suspension n’est pas levé, il sera procédé de plano à la résolution du contrat.
Les parties pourront également envisager le recours à la clause de « Hardship » qui ouvrira la porte à une renégociation des termes du contrat en cas de survenance de circonstances rendant l’exécution des obligations relativement plus onéreuse. Cette clause jouera le plus souvent en faveur de l’entrepreneur, plus spécialement lorsque celui-ci aura pour obligation de fournir la matière nécessaire à la réalisation de l’ouvrage.
Aussi, l’insertion d’une clause de risque n’est pas à négliger dans la mesure où celle-ci permettra aux parties de répartir la gestion du risque lié à la survenance de la « Covid-19 ». Dans ce schéma, il s’agira de déterminer les conditions et modalités en fonction desquelles chaque partie aura à supporter les risques liés à la détérioration ou à la perte totale ou partielle de l’ouvrage suite à la survenance d’un résultat produit par la survenance de la « Covid-19 ».
Ces clauses contractuelles seront également à considérer par les parties lors de la conclusion d’un contrat d’entreprise de construction à l’ère de la « Covid-19 ».