Kouider Bennani, fragments d’un « film » à rebondissements

Kouider Bennani, fragments d’un « film » à rebondissements

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Il est peut-être plus connu en tant qu’ancien directeur du Centre cinématographique marocain (CCM). Mais, sa vie ‘englobe’ beaucoup plus que cette parenthèse qui a duré, néanmoins, une bonne dizaine d’années. L’enfant de Taza en a vu et vécu. Fin de suspense ! C’est de Kouider Bennani qu’il s’agit.

C’est parti…

Quand on essaie de creuser, avec lui, dans sa mémoire, il n’est ni bavard ni radin. Plutôt spontané, Kouider répond presque sans détour.
Le matheux est à la base un ‘produit’ de télécommunications.

En fait, jeune il met le cap sur l’Hexagone, mais avec l’idée qu’une fois son cursus terminé, il reviendra au pays. « Je n’ai jamais pensé quitter le Maroc, ni travailler ailleurs que dans mon pays », confie-t-il en appuyant ses syllabes.

C’est à Paris où l’homme, qui allait réorganiser/organiser la RTM (Radio Télévision Marocaine) au début des années 1970, décroche son diplôme d’ingénieur.

Peut-être qu’il n’y pensait pas, il se trouve qu’il y avait un ‘destin’ qui se dessinait au bord de la Seine.
C’est que, en fin d’études, Kouider Bennani avait travaillé, avec un binôme français, sur le projet de la création d’une télévision au Cameroun ! Séduit par le projet, il s’y investi. Sans se projeter. Lien de cause à effet ? Visiblement, pas. De toutes les façons, il semblerait qu’il ne trouve pas d’importance à en faire un sujet à développer.

Comme s’il voyait re-défiler les images, il se remémore.
Celui qui, à un moment non lointain de sa vie s’est mis à l’agriculture, ne savait certainement pas qu’il était en train de creuser les sillons de ce qu’allait devenir sa vie. Les chapitres d’une expérience au contact permanent avec l’image !

De la radio à la télé…

Nous sommes en 1970-71. Kouider, diplôme dans les bagages, est de retour sous le ciel marocain. Il atterrit à la RTM où il est nommé responsable des studios radio.

Armé de son savoir, il était pratiquement ‘écrit’ qu’on n’ allait pas le laisser ‘pétrir’. Le directeur général de l’époque le remarque et le ramène auprès de lui en tant que conseiller. Une position qui allait permettre au jeune ingénieur de se frotter aux réalités de ‘la boîte’. S’il est vrai qu’on se démenait comme on pouvait, il n’est pas moins vrai qu’il y avait à faire ! Beaucoup à faire. À commencer par l’organisation et le ‘statut’ du personnel, notamment.

Or, sur ce rayon justement qu’ il fallait agir vite. Le personnel n’avait, tout simplement, pas de statut. Et l’écrasante majorité, en dehors des fonctionnaires statutaires liés à la fonction publique, était payée par cachet. ‘Ma première mission, dit-il, était de créer un statut pour le personnel’. Aussi, la situation était déplorable et les dysfonctionnements multiples. Dilemme ? Que faire ? Déguerpir, faire comme si de rien n’était ou prendre le taureau par les cornes ?

En ingénieur qui se respecte, il prépare un état des lieux, auquel il avait fait adhéré des responsables de la direction technique opérationnels à l’époque.
Méticuleux, Kouider peaufine un dossier complet qu’il soumet au ministre de l’information de l’époque. Loin des bureaux, Tayebi Benhima, un homme, raconte-t-il, qui avait « beaucoup d’affection’ pour lui, le reçoit dans sa demeure. Kouider fait son exposé devant un ministre tout ouïe. T.Benhima, alliant l’écoute à la réaction, proposera « une restructuration de la Maison, greffée à un nouvel organigramme ». Un organigramme où Kouider est ‘installé’ en tant que directeur de la télévision. Lourd fardeau pour un jeune, dont la jeunesse devait déranger bien des personnes. Il ne le dit certes pas, mais on peut facilement le deviner ! La seule indiscrétion qu’il survole en deux phrases : »Ma porte était ouverte à tout le monde, même à ceux qui disaient beaucoup de mal sur moi et que je n’hésitais pas, en toute modestie, d’aider ». Sans aller dans les détails, le directeur de la télévision ferme vite les guillemets, avec ces mots: « L’essentiel pour moi était qu’on puisse avancer et faire avancer les choses ».
Outre les aspects techniques, c’était aussi l’opportunité offerte pour faire tourner la machine, notamment au chapitre de la production télévisuelle.
Le temps passe.

« Une expérience de vie »…

Nous sommes au milieu des années 1970. Kouider Bennani est appelé à vivre « l’expérience » de sa vie. Au titre des missions qui étaient les siennes, il fera partie des centaines de milliers de Marocains lors de la Marche Verte. La mission n’était certes pas aisée, mais ô combien exaltante.
Accompagné d’une équipe d’une quinzaine de personnes, Kouider est à Tarfaya. La Marche Verte est annoncée et il fallait assurer toute une logistique pour l’accompagnement médiatique: installer les bivouacs, donner les cartes d’accréditation, pratiquement 1.600 personnes entre journalistes et autres technicien, sans omettre de vue la retransmission. Nonobstant les difficultés, les équipes avaient assuré. Kouider en retient surtout « l’honneur et le plaisir d’avoir participé à ce grand événement de l’Histoire du Royaume ».

Mission accomplie. Kouider est de retour chez lui. La situation dans la famille est tendue. Son épouse le met devant une équation pour le moins inextricable. Il est pris en tenaille entre « changer de travail ou sacrifier sa famille », pour synthétiser. Sa carrière commençait à peine. Et puis, on l’aurait compris, il s’agissait d’une « mission. Avec les pressions qu’il fallait « gérer ».
Le « départ » de son épouse et les deux enfants dont il devait s’occuper ont imposé un moment de réflexion ! Le directeur de la télévision, 29 ans, en fait part à feu Benhima en lui demandant de l’aider à rendre les clés !
On imagine bien que ça ne pouvait pas passer comme une lettre à la poste. Le ministre lui demande de continuer à honorer ses missions, en attendant.

L’appel du cinéma…

Quelques jours après, un nouveau challenge l’attend.
Sur le chemin vers le siège de la télévision, il rencontre T.Benhima. Ce dernier l’informe qu’il devait prendre la direction du CCM.
Pas de temps pour respirer. D’autant plus que le secteur avait « besoin d’être organisé « . Tout un programme ! Accompagné par un certain Hamid Hajji, « un homme merveilleux profondément convaincu de l’importance et du rôle du cinéma », il lance le chantier de la structuration, à commencer par « un nouveau texte » régissant la structure. Les bases jetées, le travail pouvait commencer. « Dans la sérénité », dit, souriant et certainement pensant aux contraintes de la télévision, K.Bennani. Lui qui aurait pu prendre la direction de la RTM, là encore, ne regrette rien. Encore moins d’avoir à affronter le challenge d’une structure qu’il fallait sortir d’un vide !

Au bout de dix ans à la tête du Centre cinématographique marocain, où il avait lancé et mené à bon port une multitude de chantiers, le directeur, qui en a vu des vertes et des pas mûres, ne regrette rien. Sans fierté aucune, tout en reconnaissant le rôle des équipes en présence, il énumère: l’organisation du Centre, la construction de son siège, la création du Laboratoire, la mise sur pied de l’aide à la production cinématographique marocaine, l’organisation des métiers en Chambres professionnelles, le soutien à la rénovation et la construction des salles de cinéma et le lancement du Festival National du Film.

Cap sur la « terre »

En juillet 1986, Kouider Bennani est « acculé » à jeter l’éponge, dans des conditions sur lesquelles il n’aime pas s’étaler !
Il se ‘reclut’ pour une sorte de méditation chez lui. Plonge dans sa bibliothèque. Réfléchit. Se remue les méninges. Sans plus. Pour autant, il ne se lamente pas.
Dans son remue-méninges lui vient l’idée de se ‘reconvertir ‘. « J’ai décidé de devenir agriculteur », résume-t-il. Direction Guercif ! Là où il obtient, comme il le qualifie, son « Nobel ».
Décryptage: Guercif est devenu un plateau productif d’olives ! Et il en l’instigateur. Comment ?

Kouider Bennani, en plus de quelques économies, cède sa maison et investit dans la terre. Guercif est entourée de montagnes et il neige entre six et sept mois, en moyenne, l’année. Où va l’eau ? Il fait un premier forage, au bout de 110 mètres, l’eau jaillit. Cela donnera des idées à beaucoup de monde dans une région qui s’approvisionnait par citernes venant de Taza. Kouider le fellah a eu la main heureuse !

Du coup, pour l’ingénieur, le cinéma et la télévision relevaient de l’histoire ancienne. Mais, Kouider Bennani reviendra au monde de l’image.

Retour aux « sources » !

En effet, invité par l’actuel directeur du CCM, et exceptionnellement, Kouider répond présent lors du Festival National du Film. À Tanger, il aura droit à tous les égards dont un comité d’accueil et une reconnaissance devant le public du rendez-vous tangérois. L’ancien directeur du CCM s’en remémore l’émotion au bout de la langue.
Lors d’un dîner, Sarim Fassi Fihri lui dira qu’il n’avait pas le droit de rester à l’écart du secteur de l’audiovisuel. « C’est comme ça que je suis revenu.. », résume-t-il. Il est producteur de documentaires ! Dans son escarcelle, deux opus sur…Taza, un sur l’histoire, un autre sur les ressources en…eau ! Naturellement.
Et tout aussi naturellement, un documentaire sur Dakhla.
Et ce ne sont les idées qui lui manquent.
Ce n’est certainement pas pour rien qu’une « sagesse » dit que la jeunesse est un état d’esprit ! Loin des pendules qui ronronnent ! Kouider Bennani en livre une démonstration. Le film devrait continuer par d’autres séquences.

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