Mohamed Darif est connu. Très connu même, notamment sur la scène universitaire. En 2014, lorsqu’il décide de descendre dans l’arène politique, en compagnie de certains « frères des armes » cela n’était pas étonnant d’aucuns. C’est l’homme qu’on voit en tee-shirt sur les plateaux de télévision.
Pourtant, la création du Parti des Néo-démcrates n’était que l’aboutissement d’un projet qui remonte aux années 1990, confie-t-il.
En pleine campagne, Darif, qui multiplie les réunions, me reçoit au siège de son parti sis Boulevard Lalla Yaqout à Casablanca.
Comme il fallait s’y attendre, l’animation est à son comble. On règle les montres. On devait échanger pendant une demie-heure, l’entrevue a duré plus qu’une heure.
Passionnante, il faut dire.
Il y avait le parcours de l’homme de la recherche, des entraves qu’il fallait braver, tout comme il était aussi question de ses centres d’intérêt d’intellectuel.
Parcours de combattant
Tout semble avoir commencé dans une famille modeste dans la Médina de Casablanca. Un milieu social où l’on manquait presque de tout. « Nous manquions du minimum vital », résume mon interlocuteur.
Il en parle avec une tendresse marinée à l’amertume, mais tout le temps avec un sourire esquissé aux coins des lèvres.
En fait, malgré les adversités du quotidien, il y avait, souligne-t-il, la force et la volonté d’une famille prête à tous les sacrifices pour que les enfants aillent à l’école, apprennent pour pouvoir s’en sortir.
Or, c’était ce « mix-là » qui a forgé à la fois la personne, sa personnalité et le sens de « partager les souffrances d’autrui », synthétise Mohamed Darif.
Et son parcours académique, plutôt atypique, révèle bien quelqu’un qui en voulait et s’investissait corps et âme dans ce qu’il entreprenait.
Le baccalauréat en poche en 1979, la réputation d’un dévoreur de livres acquise au milieu de ses connaissances depuis ses années collège, aurait voulu poursuivre ses études en philosophie. Il met le cap sur Rabat. Mais, à défaut de pouvoir trouver « un lit » au campus, il rebroussera chemin vers Casablanca. Direction, la faculté de Droit, en se disant que cela ne durerait qu’une année ! Et le voilà qu’il « avale » quatre années sans faute. Avec quatre mentions à la clé.
Dans l’absolu, la voie a été ouverte, sans problème, pour une bourse de 3ème cycle ! « Je remplissais tous les critères pour, mais ils en ont voulu autrement », me confie-t-il, non sans un pincement d’amertume.
« Rien d’anormal ! J’étais ‘9a3idi. Donc, pas de bourse ! ».
Que faire ? Pas besoin de faire appel à la formule de Lenine. Il y avait le service civil à l’époque. Toujours est-il que le rat des bibliothèques avait la présence d’esprit de coupler cette parenthèse avec les études. Pas de complications à l’époque, tout licencié pouvait s’inscrire en troisième cycle. Il en sortira avec deux Certificats. Coup sur coup, il décroche le premier en Science politique et le second en Relations Internationales. Et avant même de clore ses années de service civil, il dépose pour un DES.
Là encore, Darif étonne par le choix du thème. Il travaille sur le wahhabisme au Maroc. « Au milieu des années 1980, j’avais senti la montée du radicalisme religieux et je voulais en chercher les sources historiques », dit le « fouineur ». Malgré quelques couacs de parcours, sur lesquels, il préfère ne pas s’arrêter, il soutient son DES en 1985. Juste après, comme s’il était dans une course contre la montre, il s’inscrit pour un Doctorat d’Etat. Cette fois-ci, il s’intéresse à l’Histoire des idées politiques au Maroc. Nous sommes en 1986, Darif décroche son Doctorat d’Etat.
Chemin faisant, en compagnie de certains amis, il crée la Revue marocaine de sociologie politique. Une expérience née dans la douleur de l’absence des moyens, notamment pour la sortie du premier numéro de cette revue trimestrielle. Après, le projet a été « adopté » par un éditeur de la place. Or, c’est à ce moment-là qu’il y avait une autre inflexion dans le parcours de Darif. Le Doyen de la faculté des lettres de l’époque mais aussi historien, Abdellatif Chadli, lisait avec beaucoup d’intérêt la Revue, en croyant avoir à faire à un historien au gouvernail de ladite publication. Les deux hommes se rencontrent. A.Chadli, aux côtés de Khalid Naciri et Abdellah Saaf, était à la soutenance du Doctorat.
Le Doyen proposera, après, un poste budgétaire à Darif. Ce dernier sera Maître de Conférences en 1987.
Pour l’homme, qui avait bien des expériences et non des moindres dans les médias marocains et d’ailleurs doublées de travaux pour plusieurs centres de recherche, la fécondité allait donner naissance à plusieurs livres devenus de référence. Pas uniquement en ce qui concerne les mouvements islamistes, au Maroc et dans le monde arabe, comme on a tendance à le « classifier », mais aussi en ce qui concerne la dynamique politique dans le pays.
Le chercheur devenu par la force des choses un homme politique se dit avoir été destiné à « descendre dans l’arène politique. C’est chose faite depuis 2014.