par Omaima Ridaoui
Il n’y a pas une minute qui s’écoule sans que des infractions sanctionnées par la loi pénale viennent de se commettre. Celles qui sont portées à la connaissance des autorités doivent être punies.
Il faut chercher leurs auteurs et leurs infliger les sanctions abstraitement prévues par les textes.
D’ailleurs, dans le cadre du procès pénal, l’autorité publique ne se borne pas à attendre que les particuliers (victimes ou témoins) viennent lui signaler la commission de l’infraction. Les autorités chargées de la recherche des infractions ont un rôle d’initiative pour les rechercher et les découvrir. De plus, l’ouverture du procès pénal est une affaire d’Etat.
Dès lors, les infractions portées à la connaissance des autorités judiciaires impliquent souvent le déclanchement d’une action publique afin de rétablir l’ordre social troublé par les actes antisociaux commis par leurs auteurs.
Cependant, beaucoup d’affaires ne peuvent être portées directement devant la juridiction de jugement à raison de leur complexité, une mise en état des dossiers apparaît nécessaire. C’est le but de l’instruction préparatoire.
En effet, le but de l’instruction préparatoire est la recherche des preuves par un organisme juridictionnel en vue d’examiner s’il existe des charges suffisantes contre une personne pour ordonner sa mise en jugement. L’information ne peut avoir lieu qu’après la mise en mouvement de l’action publique.
Or, la doctrine a souvent distingué plus d’un type de juridiction d’instruction. En effet, cette procédure est assurée par des juridictions d’instruction de droit commun ou d’exception.
Mais de nos jours, le Dahir portant loi n° 1-74-338 du 24 joumada II 1394 (15 juillet 1974) fixant l’organisation judiciaire du Royaume, dans sa version consolidée en date du 26 octobre 2011, a institué des juridictions de droit commun et des juridictions spécialisées. Aussi, la loi 108-13 relative à la justice militaire promulguée par le Dahir 1-14-187 du 17 safar 1436 (10 décembre 2014) a édicté la compétence du tribunal militaire de ne juger uniquement que des militaires pour des infractions exclusivement militaires.
Par ailleurs, la doctrine distingue une instruction au sens large et une instruction au sens étroit:
Au sens large, et en plus de l’instruction finale qui se déroule à l’audience, chaque affaire est portée devant la juridiction de jugement accompagnée d’un dossier comprenant les pièces, documents et procès verbaux réalisés au cours de l’enquête préliminaire.
Au sens étroit, l’instruction préparatoire est celle menée par le juge d’instruction à l’aide des pouvoirs particuliers que la loi lui a confiés et dont l’emploi s’entoure de formalités nombreuses et rigoureuses.
Une autre distinction est fournie par la doctrine marocaine. Elle considère que l’instruction gouverne tous les procès pénaux : l’enquête, l’instruction préparatoire et l’instruction définitive. L’enquête reste une phase administrative à caractère contraignant et accusateur. L’instruction définitive s’associe à une dernière appréciation des preuves. Et l’instruction préparatoire confectionne un dossier plus plausible, plus sérieux, tout en accordant aux parties au procès (ministère public et particuliers) les garanties légalement offertes.
C’est cette étroite distinction qui fera l’objet de ce présent travail, et nous nous focaliserons plus particulièrement sur les pouvoirs du juge d’instruction près des juridictions de droit commun, qui constitue à lui seul une juridiction d’instruction pour les affaires portées devant ces juridictions. Et plus précisément, les affaires pénales. Car il se peut, en matière civile, que le juge peut, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, soit d’office, ordonner avant dire droit au fond, des mesures d’instruction (art. 55, CPC).
La doctrine définit donc, l’instruction en matière criminelle, comme « la conduite de toutes les procédures qui se font pour mettre une affaire criminelle en état d’être jugée. Les principales de ces procédures, sont l’information, l’interrogatoire, les récolements et les confrontations. »
De plus, l’instruction en procédure pénale est définie comme « la phase pénale constituant une sorte d’avant-procès, qui permet d’établir l’existence d’une infraction et de déterminer si les charges relevées à l’encontre des personnes poursuivies sont suffisantes pour qu’une juridiction de jugement soit saisie. Cette phase…est conduite par le juge d’instruction… »
Dès lors, le juge d’instruction est avant tout un magistrat. Or les magistrats de carrière dans les juridictions de l’ordre judiciaire, « sont chargés de juger lorsqu’ils sont au siège, et de requérir l’application de la loi quand ils sont au parquet »
Cependant, le juge d’instruction ne tranche pas dans le fond de l’affaire. Le dernier mot, quant à l’appréciation des preuves, revient au juge de fond. Aussi, selon les dispositions du C.P.P. marocain, le juge d’instruction ne déclenche pas de son propre chef l’action publique.
Mais lorsqu’il est régulièrement saisi, le juge d’instruction est doté de pouvoirs et prérogatives confiés à lui par la loi, qu’on appelle en jargon juridique « les pouvoirs du juge d’instruction ».
Le pouvoir d’instruction est défini comme une « compétence dévolue à une autorité de préparer et de mettre en état des affaires sur lesquelles le pouvoir de décision appartient à une autre autorité ».
En effet, le juge d’instruction détient, d’une part, un pouvoir d’information. Sa mission est de déterminer l’existence de l’infraction et de constituer un dossier permettant de mieux connaître les faits et charges qui pèsent sur telle ou telle personne et si cela nécessite ou pas son jugement par la juridiction compétente. D’autre part, le juge d’instruction détient un pouvoir de juridiction. Il est amené à trancher des contestations au cours de son instruction. Il le fait par des décisions appelées ordonnances.
Le juge d’instruction instruit, donc, « à charge et à décharge ». Il procède lui-même à différents actes de l’instruction ou il peut les confier à la police judiciaire par le biais d’une commission rogatoire ou bien requérir directement la force publique dans l’exercice de ses fonctions.
En outre, la spécificité de cet organe d’avoir un double rôle en tant qu’enquêteur et juge fait la richesse de sa mission inconnue des pays de Common law.
Historiquement, l’ancêtre du juge d’instruction était incarné, dès l’ordonnance criminelle de 1670, par le Lieutenant criminel français. Son instruction était purement inquisitoire (secrète et non contradictoire). Le Code d’instruction criminelle français de 1808 reprit largement la même conception. Ce n’est qu’à compter de la loi Constans du 8 décembre 1897 qui permit au suspect de recevoir l’assistance d’un défenseur que l’instruction évoluera vers un équilibre entre le ministère public et la personne soupçonnée. Le secret de l’instruction ne lui était alors plus opposable. Cela deviendra également le cas pour la partie civile avec une loi du 22 mars 1921.
Bâtie, donc, à l’origine sur le modèle inquisitoire, l’instruction préparatoire est aujourd’hui une procédure mixte (inquisitoire et accusatoire). En effet, réforme après réforme le législateur introduit des éléments provenant du système accusatoire. Le droit de la défense, l’accès au dossier ou la demande d’actes en sont des illustrations récentes.
Au Maroc, en se passant de retracer le cheminement qui a abouti à la naissance de l’institution du juge d’instruction au milieu d’une mosaïque de juridictions et de lois qui a caractérisé la période du protectorat français, et une absence des codes de procédures avant le protectorat. Nous pouvons dire que l’organe du juge d’instruction a vu le jour, sous son aspect moderne, avec l’ère de l’indépendance.
En s’inspirant de l’avant-projet dit « Code pénal Matter » de 1934 et les recommandations proposées par la commission « Besson » adoptées par la loi du 31 décembre 1957, le législateur marocain a mis au jour son premier code de procédure pénale en promulguant le Dahir n° 1-58-261 du 1er chaabane 1378 (10 février 1959) formant code de procédure pénale. S’était, à l’époque, un code équilibré et intègre qui préserve la liberté individuelle sans préjudice.
En effet, en vertu de l’art. 53 du Dahir de 1959 le juge d’instruction est choisi parmi les juges titulaires ou, à défaut, parmi les juges suppléants. Il est désigné par arrêté du ministre de la justice pour une période de trois ans. De plus, l’art. 84 du même Dahir prévoyait que l’instruction préparatoire est obligatoire en matière de crime ; elle est facultative en matière de délit, sauf dispositions spéciales ; elle peut également avoir lieu en matière de contravention si le procureur du Roi le requiert.
Cependant, le Dahir portant loi n° 1-74-448 du 11 ramadan 1394 (28 septembre 1974) édictant les mesures transitoires jusqu’à la mise en vigueur d’un nouveau code de procédure pénale, n’a désigné les magistrats chargés de l’instruction que dans les Cours d’appel du Royaume (art. 6 du même Dahir). Aussi, l’instruction préparatoire est devenue obligatoire en matière de crime lorsque la peine édictée est la mort ou la réclusion perpétuelle ; elle est facultative pour tout autre crime ; elle peut être ouverte en matière de délit en vertu d’une disposition spéciale de la loi (art. 7 du même Dahir).
La période transitoire a duré 28 ans avant que le législateur ne se décide enfin à promulguer un nouveau Code de procédure pénale. En effet, le Dahir n° 1-02-255 du 25 rajab 1423 (3 octobre 2002) portant promulgation de la loi 22-01 formant Code de procédure pénale mis à jour dernièrement en date du 1ier juin 2015, a révisé le code de 1959 et les mesures transitoires de 1974 car il a estimé dans son préambule que la pratique quotidienne a révélé l’existence de plusieurs lacunes et problèmes liés aux textes juridiques ou à la réalité sociale, auxquels il convenait d’apporter des solutions et des réponses aux problématiques qu’ils posaient.