Le procureur met en garde contre les "professionnels des litiges" qui inondent l’État de poursuites pour réaliser des profits
Abdelrahmane Lamtouni, procureur du Royaume, a alerté sur le phénomène de ce qu’il a qualifié de "professionnalisme en matière de litiges" contre l’État, soulignant l’existence d’un groupe de personnes physiques et morales se spécialisant dans l’exploitation des erreurs administratives pour introduire des actions en justice non fondées ou exagérées dans le but de réaliser des gains matériels.
Lors de la première conférence nationale sur la gestion des litiges de l’État et leur prévention, tenue mardi à Rabat, il a précisé que ce phénomène se manifeste notamment dans les domaines d’atteinte aux biens matériels et des marchés publics, où certaines entités sont désormais connues pour mener des litiges récurrents contre l’État, tirant profit des failles juridiques ou administratives. Il a affirmé que cette situation représente un fardeau croissant pour le système judiciaire et l’administration publique.
Bien qu’il reconnaisse que le droit de porter plainte est un droit constitutionnel, le responsable judiciaire a insisté sur le fait que l’abus de ce droit est devenu préoccupant, nécessitant de la part de l’État une réflexion sur des mécanismes préventifs pour restreindre l’exploitation excessive de ce droit par les "professionnels des litiges", tout en respectant les garanties légales des plaignants.
Le procureur a également noté que le nombre de poursuites contre l’État a augmenté de 70% au cours de la dernière décennie, tandis que les décisions rendues contre lui n’ont augmenté que de 10%. Selon lui, cela reflète deux aspects : d’une part, la limite de la sérieuse prise en charge de certaines demandes judiciaires et, d’autre part, l’amélioration de la performance des entités chargées de défendre l’État, dont l’agence judiciaire du Royaume figure en tête.
Il a attiré l’attention sur le fait que, malgré l’augmentation du rythme des litiges, l’agence a réussi à augmenter les montants qu’elle a économisés pour le Trésor public, passant d’environ 2 milliards de dirhams à 7 milliards de dirhams par an, ce qui démontre l’évolution des outils de gestion et de protection juridique de l’État face à la multitude de cas qui lui sont soumis.
Dans le cadre de l’effort du Royaume pour renforcer la stabilité économique et la transparence juridique, le procureur a présenté une stratégie nationale globale visant à gérer les litiges de l’État efficacement et à en prévenir l’occurrence. Cette stratégie repose sur plusieurs approches techniques et organisationnelles visant à réaliser une bonne gouvernance et à réduire les coûts associés aux litiges judiciaires.
Parmi les principales approches, Lamtouni a évoqué la nécessité de réexaminer les dispositions légales régissant le système et de structurer le travail des experts, ainsi que d’amender les textes juridiques connexes pour garantir leur efficacité face aux défis actuels. Il a également souligné l’importance d’établir un cadre légal plus clair pour réguler le travail des experts dans les litiges impliquant l’État et de réviser certains textes juridiques qui ne sont plus adaptés aux activités administratives actuelles.
En outre, il a été question d’apporter des modifications législatives aux textes devenus inadaptés aux pratiques administratives modernes, d’analyser les risques de litiges et de déterminer les actions administratives qui pourraient entraîner des charges financières significatives, ainsi que d’élaborer un plan préventif basé sur la gouvernance, la formation et la vigilance afin d’éviter la répétition des risques financiers résultant des litiges. Cela inclut également l’encouragement d’une gestion régionale des litiges en établissant des délégations de l’agence judiciaire du Royaume au niveau régional pour rapprocher ses services des administrations locales.
Le conférencier a également souligné la nécessité de revoir le cadre légal et de regrouper les textes juridiques, en organisant les textes juridiques relatifs à l’agence judiciaire du Royaume afin de la qualifier pour jouer le rôle de coordinateur national des programmes de prévention des litiges et de défense des intérêts de l’État. Parallèlement, des mécanismes légaux et organisationnels doivent être mis en place pour encadrer l’expertise en développant des approches pour structurer les expertises judiciaires et fournir des critères scientifiques garantissant que les affaires impliquant l’État se conforment à des jugements équitables.