AMAL FILALI/
Dans les salons sobres du ministère de la Justice à Rabat, un geste aux accents d’histoire vient d’être posé. Abdellatif Ouahbi, ministre marocain de la Justice, et son homologue irakien, Khaled Shawani, ont apposé leurs signatures sur deux textes appelés à dépasser le droit pour entrer dans le registre du politique : un accord relatif au transfert des personnes condamnées et un mémorandum d’entente sur les peines alternatives.
Derrière l’apparente froideur des formules juridiques se joue en réalité une scène bien plus vaste. Car ces accords ne disent pas seulement le sort de détenus marocains en Irak, ni la mécanique institutionnelle d’un droit en mouvement. Ils racontent la volonté de deux États de reprendre langue autrement, de sceller un partenariat où la dignité humaine devient monnaie diplomatique.
Le droit comme outil de souveraineté
Pour Rabat, l’accord relatif au transfert des condamnés n’est pas anodin. Il touche au cœur d’un sujet sensible : le destin de centaines de Marocains emprisonnés en Irak, souvent pour des affaires liées à l’extrémisme. Leur retour au pays pour purger leur peine n’est pas seulement une mesure humanitaire, c’est une manière de réaffirmer que l’État marocain ne se désintéresse jamais de ses ressortissants, où qu’ils soient, fussent-ils en disgrâce.
« Le Maroc entretient des relations fraternelles et historiques avec la République d’Irak. À travers la signature de ces accords, nous œuvrons à consolider ces liens, dans le respect de la dignité et des droits du citoyen marocain où qu’il se trouve », a déclaré Abdellatif Ouahbi, donnant à ce texte l’épaisseur d’une déclaration de souveraineté.
En écho, son homologue irakien a insisté sur l’ancrage de ce partenariat dans la Convention de Riyad de 1983 et dans les standards universels des droits humains : « Permettre aux détenus de purger leur peine dans leur pays d’origine, auprès de leurs familles, c’est garantir à la fois dignité et réinsertion. »
Les peines alternatives, miroir d’une réforme marocaine
Mais c’est peut-être le second document signé qui en dit le plus long sur la place du Maroc dans la géopolitique régionale. Le mémorandum d’entente sur les peines alternatives arrive à point nommé, au moment même où la loi 43.22 entre en vigueur. Ce texte, emblématique de la modernisation du droit pénal marocain, devient vitrine diplomatique : Rabat ne se contente pas de réformer pour lui-même, il exporte son modèle, il partage son savoir-faire avec ses partenaires.
Ici, la coopération juridique se mue en vecteur d’influence. Dans un Proche-Orient bousculé, le Maroc se présente comme un État stable, réformateur, attaché à la dignité des personnes et capable d’articuler sa souveraineté avec l’universel.
Plus qu’un traité, une vision
À travers ce double accord, Rabat et Bagdad rappellent que la justice n’est pas seulement l’affaire des tribunaux : elle est aussi diplomatie, géopolitique, affirmation de soi. Là où tant de discours s’épuisent dans les slogans, les deux capitales choisissent la voie discrète mais efficace de l’institutionnel, du texte signé, de l’engagement écrit.
Dans un monde arabe en proie aux fractures, l’accord entre le Maroc et l’Irak résonne comme une leçon : les nations qui savent transformer la règle de droit en langage politique trouvent dans la justice non pas un fardeau, mais un levier de puissance et de respect.