Festival de la Ḥaḍra féminine à Essaouira : de la mémoire rituelle à l’horizon de la reconnaissance symbolique de la voix féminine

Festival de la Ḥaḍra féminine à Essaouira : de la mémoire rituelle à l’horizon de la reconnaissance symbolique de la voix féminine

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La ville d’Essaouira accueille, dans sa dixième édition, le Festival de la Ḥaḍra féminine et de la musique du ḥāl, organisé par l’Association des Ḥaḍrāt d’Essaouira sous la présidence de l’artiste Latifa Boumazough. Ce festival se présente comme une pratique culturelle qui dépasse la logique de l’événement artistique ponctuel pour s’inscrire dans un projet symbolique visant à interroger la place de la ḥaḍra féminine au sein de la structure profonde du patrimoine soufi marocain. Il ne se contente pas d’évoquer la mémoire spirituelle, mais cherche à la réinterpréter et à la faire sortir de la marginalisation historique qui a longtemps frappé les expressions féminines, confinées à la transmission orale et aux espaces rituels clos.

Cette édition repose sur une conscience critique affirmant que la ḥaḍra féminine n’est ni une forme folklorique subalterne ni un simple prolongement festif parallèle à l’expérience soufie masculine. Elle constitue un système esthétique et cognitif autonome, ayant contribué à la construction de l’imaginaire spirituel marocain et à l’élaboration d’un rapport singulier entre le corps et le dhikr, la voix et l’extase, le temps rituel et la mémoire collective. Dans cette perspective, le festival œuvre à la réhabilitation de la voix féminine en tant qu’acteur symbolique de la production du sens soufi, et non comme un simple médium performatif au sein d’un dispositif préétabli.

Les activités du festival débutent le 19 décembre 2025 par un défilé inaugural sur la place Al-Menzah, marquant un passage symbolique de l’espace rituel fermé à l’espace public ouvert. La ḥaḍra féminine y est réinvestie dans le paysage urbain non comme un spectacle, mais comme un discours corporel et vocal en interaction avec la ville, ses habitants et ses visiteurs. Ce choix traduit une volonté consciente de réinscrire la mémoire spirituelle féminine dans le tissu de la vie quotidienne et de retisser le lien entre le rituel et l’espace public.

Le programme se poursuit dans la soirée au Centre culturel d’Essaouira, avec les allocutions officielles de la direction du festival et des représentants de la région Marrakech-Safi, de la Direction provinciale du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication – département de la Culture, ainsi que de la Commune d’Essaouira. Cette présence institutionnelle revêt une forte portée symbolique, illustrant le passage de la ḥaḍra féminine de la marge vers la reconnaissance officielle, de la mémoire silencieuse à l’action culturelle encadrée, dans un contexte national et international marqué par un intérêt croissant pour la sauvegarde du patrimoine immatériel.

Le volet artistique s’ouvre par des performances spirituelles et musicales reflétant la diversité régionale de la ḥaḍra féminine marocaine, avec la participation de la troupe Oulad Chṭa de l’art hassani (Tata), de la troupe des Ḥaḍrāt d’Essaouira, représentante de la ville hôte, et de la troupe Aïcha Addoukkalia de Salé. Ces participations révèlent l’unité de la référence soufie à travers la pluralité de ses manifestations locales, où rythmes, mouvements et voix se rejoignent pour construire une expérience extatique partagée, transcendant la géographie sans en effacer les spécificités culturelles.

Le deuxième jour, le 20 décembre 2025, le festival s’oriente vers une interrogation intellectuelle et cognitive de l’expérience soufie féminine à travers une table ronde organisée à la Maison de la Mémoire, autour du thème « La femme dans l’expérience soufie », animée par le Dr Noureddine Danyaji. Cette rencontre constitue un moment de réflexion collective sur les rôles de la femme dans le champ soufi, sa contribution à la production du sens spirituel, à l’élaboration des symboles et à l’ancrage des valeurs éthiques et esthétiques dans la culture marocaine.

Le programme comprend également une communication scientifique intitulée « La ḥaḍra féminine dans la culture hassanie : la danse de la Guedra comme modèle », présentée par le chercheur et critique Brahim El Haissen, avec une introduction du critique et artiste Chafik Ezzouguari. Cette intervention aborde la ḥaḍra comme une structure anthropologique complexe, où se croisent le corps, le rituel et la mémoire collective, dans une relation dialectique faisant du mouvement une forme de dhikr et du rythme un outil d’évocation de l’absence et de densification de la présence spirituelle.

La même rencontre est marquée par la présentation du recueil , » Mysticité et plasticité (en langue française) de la poétesse et artiste plasticienne Loubaba Laalej, accompagnée d’une lecture d’extraits en arabe, assurée par le traducteur et critique Dr Abdellah Cheikh. Ce moment crée un espace de dialogue entre poésie, arts plastiques et expérience soufie, où la création artistique devient un horizon de méditation spirituelle, la langue plastique un prolongement du dhikr et le poème un lieu de passage entre le visible et l’invisible.

Le festival s’achève dans la soirée du même jour au Centre culturel d’Essaouira avec des performances artistiques de la troupe Banat Al-Ḥaḍrāt d’Essaouira, de la troupe Banat Benouassate de Marrakech et de la troupe Hind Ennaira d’Essaouira. Cette conclusion confirme que la ḥaḍra féminine n’est pas un simple vestige du passé, mais une pratique vivante de la mémoire, un espace de régénération spirituelle et un pont culturel reliant héritage et renouvellement, restituant à la femme sa place symbolique et cognitive dans la préservation de la mémoire soufie marocaine à l’horizon contemporain.

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