Par Najiba Jalal
Il aura suffi de trois syllabes » un petit mot » pour déclencher chez certains apprentis-enquêteurs une véritable frénésie interprétative. L’expression, pourtant l’une des plus ordinaires du français administratif et professionnel, a été propulsée au rang d’indice compromettant, voire de message codé annonçant une rencontre secrète avec M. Abdnabaoui, président du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.
Dans le monde normal, celui où l’on maîtrise la langue avant d’en faire un instrument de dénonciation, « un petit mot » signifie simplement… un petit mot. Rien de plus, rien de moins : une formule courtoise, souvent utilisée pour signifier un bref message ou une note de transmission. Mais dans l’univers très particulier de Mehdaoui et sa troupe, l’expression se transforme soudain en clé d’un complot imaginaire.
On pourrait presque sourire devant cette gymnastique interprétative, si elle ne participait pas d’une stratégie devenue systématique : arracher les mots à leur sens, les gonfler à l’air chaud de la suspicion, puis en faire des pièces à conviction dans un théâtre numérique où l’émotion prime sur le réel.
Ce qui frappe surtout, c’est l’aisance avec laquelle ces “linguistes du dimanche” enjambent les règles les plus élémentaires de la compréhension textuelle. Car pour transformer une formule banale en « indicateur » de collusion, il faut une bonne dose d’imagination… et un rapport pour le moins distendu avec la langue française.
Dans cette affaire, l’expression n’a pas changé. Ce qui a changé, c’est l’intention de ceux qui la manipulent.
Le décalage est d’ailleurs révélateur : là où la langue propose une nuance, ils fabriquent un sous-entendu ; là où la politesse inspire une tournure aimable, ils inventent une intrigue ; là où il n’y a qu’un geste de communication ordinaire, ils installent une mise en scène dramatique.
Au fond, « un petit mot » aura davantage éclairé le fonctionnement de cette machine à soupçonner que le contenu même de l’échange visé. La troupe y a vu un mystère. Le public, lui, n’y verra qu’un contresens… devenu une attraction de plus dans le cirque de la désinformation.





