Il y a des gens « comme ça » dont rien, absolument rien, n’entame le moral. L’haj, qui habite au pied de l’Atlas dans une fière Tahanaout, en fait partie. Quand on lui fait part de la situation de crise où patauge, depuis un peu plus d’une année, le secteur de l’artisanat, il ne verse pas dans le catastrophisme ambiant devenu monnaie courante. Le regard « tristounet », il lance: « Ça va moins bien ! Sinon, ça peut mieux aller ». La nuance.
L’haj, « né l’année de la Révolution du Roi et du peuple », est plus qu’un artisan. De par son parcours, les séquences de son expérience, on peut lui décerner le titre de Maître Artisan.
Tôt dans sa vie, L’haj était convaincu qu’il ne pouvait que vivre du travail de ses mains. Mais, pas forcément du travail de la terre.
Nous sommes en 1966.
Quittant l’école coranique, L’haj se dirigera vers l’artisanat. Ce descendant de la Zaouïa Naciriya de Tamagrout a appris le travail sur l’or, l’argent et le cuivre en particulier. Soit, les spécialités de la région. Toujours est-il que c’était à la faveur de sa rencontre avec Abraham et F’hima, deux artisans de confession juive, qu’il allait aiguiser son savoir-faire. Il passera, respectivement 7 ans avec l’un à Marrakech et 3 ans en compagnie de l’autre à Casablanca.
Une fois sûr de ses moyens, Sidi Mohamed, c’est son nom propre, décide de rentrer à la maison pour « se lancer » lui-même. « Je n’avais plus envie de trimer pour les autres ! », resume-t-il.
Nous sommes en 1971.
Sans le nerf de la guerre, son ambition ne ressemblait qu’à une chimère. Si son père lui avait conseillé de « se faire un capital » avant de lancer sa propre affaire, sa maman, par l’acte, était du côté du rêve de son enfant. Elle lui remet une partie d’un héritage qu’elle venait de recevoir, en lui demandant juste de lui acheter une vache. « Si tu réussis, c’est bien. Le cas contraire, j’aurais toujours la vache… », lui aurait-elle signifié.
Les jours et les semaines suivent. Les choses marchent de mieux en mieux. Constatant l’évolution, le père entre en scène en apportant son soutien financier à son fils. Les fondations se consolident.
Aujourd’hui, L’haj est en mesure de dire qu’il est heureux d’avoir eu raison. « Ce n’était pas facile, mais Dieu merci tout va bien. Malgré les problèmes ! ».
Et les adversités, bien avant la pandémie, n’ont pas manqué. Le Maître, qui revendique avoir formé des centaines, voire des milliers d’artisans, synthétise: – Années 1970, le tourisme international respirait la forme. -Années 1980, l’apport du tourisme intérieur ramène son plus.
-1991, la guerre d’Irak freine la tendance. Une année après, le secteur reprenait doucement mais sûrement. Jusqu’à 1995, avec la catastrophe d’Ourika. Le retour à la normale sera effectif entre 1996-1997. 2000 sera l’année des grandes ambitions avec la Vision 2010.
Tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’à 2008. Bonjour la crise internationale qui a frappé de plein fouet le secteur touristique. Or, quand le tourisme se grippe, l’artisanat éternue ! « Pas autant, confie L’haj. La clientèle domestique pèse de plus en plus dans le chiffre d’affaires. On ne ressent pas beaucoup les effets extérieurs ! ».
Quand on a vu et vécu autant d’épreuves, la capacité d’adaptation se renforce. Du coup, face à la pandémie, L’haj, par ailleurs à la tête de la Coopérative Al Haouz Art, est confiant pour le proche avenir. Et même pour l’immédiat. En effet, s’il est vrai que la machine tourne au ralenti, elle n’est pas à l’arrêt pour autant. Cela résume bien l’état d’esprit d’un homme qui prend les « problèmes pour des opportunités ».
Un exemple parmi d’autres : la contrefaçon chinoise. « Oui ça nous a causé des préjudices. Mais, ça nous a poussé à nous réinventer. Le pari est réussi « .
« La vie est faite de défis qu’il faut relever », dixit L’haj.
Avec cet espoir que les générations montantes puissent assurer la relève…