Ce 15 avril 1964, c’était jour de fête dans la maison d’El Moutawakel. C’est une fille qui vient de naître et pour laquelle la famille a choisi le nom de Nawal. Mais, on était loin de soupçonner que pratiquement vingt ans plus tard, ça sera un jour de fête plus grandiose et qui dépassait de loin la petite famille. Une Star brille dans le ciel de l’athlétisme planétaire.
Nous sommes en août 1984, une jeune marocaine est dans le couloir numéro 3. Elle est en rouge et vert. Deux couleurs qu’elle vénère. Celle du drapeau du Royaume.
Au moment où, à Los Angeles, elle était en pleine concentration, on savait que des millions de cœurs étaient serrés, bien que sereins. On y croyait. C’était notre Nawal !
Le pistolet retentit: c’est parti. La jeune femme avale le 400 mètres haies en 54 secondes et 61 centièmes. Avec des larmes de bonheur.
Nawal est sacrée Championne olympique. L’aboutissement d’un long parcours qui n’avait rien d’un long fleuve tranquille. Beaucoup de travail. De l’acharnement. Le tout conjugué à une volonté de fer. Et puis, peut-être, une prédisposition doublée d’une sorte de « prédestinée ». Nawal est née au quartier Lahjajma. Elle a grandi entre Bourgogne et la vieille Médina. Spatialement, elle était entre le Complexe Mohammed V, à une cinquantaine de mètres pratiquement, de ce qui allait devenir le terrain de Bourgogne aussi et à 3 ou 4 kilomètres de La Casablancaise. Un repère toujours en réhabilitation, on passe !
« Petit diable »
Avec un sourire discret, Nawal lâche : « Ma destinée a été dessinée pour que je puisse grandir dans un univers sportif ! ». Et puis, quand on creuse un peu, on se rend compte que cet environnement avait donné naissance à plusieurs noms, autant dans l’athlétisme, la boxe, le cyclisme et le football. Il fallait une femme. « C’était elle », nous dit un habitant de la zone, en souriant tout heureux de sa trouvaille. Elle, elle se contente de dire, la voix douce, qu’il était tout naturel qu’elle se retrouve dans son élément en faisant du sport.
Dans son entourage, on doit encore se rappeller de « ce petit diable du quartier qui faisait tout ce que les petits garçons faisaient.. ». Nawal confirme avoir escaladé murs et arbres, d’avoir touché au ballon rond, de s’être mesurée à ses frères, cousins et voisins dans des courses improvisées. Tout le monde reconnaît qu’elle finissait première ! Autant dire que la compétition l’accompagnait, avec l’envie du surpassement. C’était d’autant plus pas évident, à l’époque, pour une jeune fille , entre autres, de jouer au football. Elle en faisait peu, voire pas de cas. Elle faisait parler son énergie. C’est tout.
Moment d’inflexion, Nawal rejoint son grand frère aîné qui s’était inscrit au Club Municipal. Il l’invite et elle ne dit pas non. Elle en voulait. Point, elle ne revient pas à la ligne.
Dans la poche, dix dirhams, un extrait d’acte de naissance et deux photos, Nawal est inscrite. On y voit déjà une graine prometteuse. Ses premières petites foulées parlaient pour elle. Non seulement elle est admise, elle est retenue. Commençaient d’autres étapes où il fallait faire des choix.
Elle aura tout fait avant d’opter pour le sprint. Elle que s’est essayée au saut en hauteur comme la longueur, le lancer de poids tout comme le cross country. Mais, de par sa ‘petite taille’ la fille aux ‘grands rêves’ aurait été destinée à des courses de vitesse. Un choix de raison et elle avait raison ! A l’âge de 14-15 ans, elle excellait au Maroc, sans plus. Mieux encore, la future championne olympique, qui « compettait » sur différentes pistes, qui au lieu de faire comme les filles de son âge préférait occuper ses samedis après-midi à courir à La Casablancaise, dépassait de loin ses compatriotes. Les compétitions scolaires en retiennent les témoignages de la femme qui allait occuper plusieurs responsabilités par la suite. Faut-il rappeler sa présence fort remarquée dans le cadre du Comité International Olympique..!?
Inflexions..
Là encore, une inflexion s’invite dans son parcours ! Une rencontre avec un Français enseignant d’arabe au Lycée Lyautey. La première rencontre était presque un hasard, pas la suite des événements. La Casablancaise est fermée ce samedi, Nawal saute dedans et se livre à ses exercices: « courir n’importe comment et sans aucune logique ! » L’homme, accompagné de son épouse et de leurs deux enfants, la suit du regard. Le hasard devient presque un rendez-vous, jusqu’au jour où il l’approuche : « Ma demoiselle, vous êtes bourée de défauts ! ». Ce « Monsieur », comme elle l’appelle encore au bout de plus de quatre décennies d’amitié, allait devenir son entraîneur. En fait, c’est qu’il était coach en France avant d’arriver au Maroc en tant que coopérant. Un hasard ? Non, un destin ! Elle aime le mot « Destin ».
Chemin faisant, deux mots qu’elle affectionne, Nawal battera tous les records. De cadette, elle devient Senior, en grillant la catégorie Juniors. L’icône réalise un rêve: « Porter les couleurs nationales ». Elle résume : » Petite de taille, mon rêve était immense. Illimité ». C’est elle qui parle: » Dans les sprints, j’étais larguée par les Européennes. Je connaissais bien leurs dos. Je me suis juré de leur faire connaître le mien..! ». Elle fera les 100, 200 et 400 mètres, les 400 haies. Un basculement, confie-t-elle, qui avait beaucoup demandé. Les sportifs en savent un bout.
Elle était sceptique, mais le combat valait la chandelle. Nawal savait s’adapter. Et ça demandait ! « On n’a rien, sans rien « , souligne la Championne.
Et il y a plus. Un épisode plus que décisif. Un père qui croyait en sa fille. Et qu’il fallait convaincre qu’elle devait partir aux États-Unis. Pour Sports et Études. Un Yéménite, marié à une Marocaine, s’en occupe. Le couple avait un rôle dans sa vie, dont elle garde une amitié de 40 ans. C’est avec ce couple qu’elle allait apprendre gracieusement la langue anglaise. Et c’est à travers le Yéménite qu’elle a pu déchiffrer les offres américaines pour aller au pays de l’oncle Sam, dont elle avait reçu sept propositions. Nouvelle séquence du Récit.
En hommage au père !
Aux USA, c’est une autre histoire. Nawal, qui croit aux vertus du travail, devait non seulement apprendre à marcher sur la neige, mais à courir sur la neige. Des mois durant à la veille d’une année olympique.
Elle assure ! Face à des centaines de concurrentes, elle assurait. Elle était face à elle-même. Elle, qui sillonnait l’Amérique par avions-taxis les week-ends, pulvérisatait tous les records. Celle qui se faisait une fixation de quatre ans pour 1984, quatre bonnes années après une fixation, a fini par rendre hommage à un père décédé avant son sacre olympique. Les yeux embués, Nawal se rappelle de la bénédiction du père au moment où elle embarquait vers les États-Unis.
La photo de 1986, et tout ce qu’il y avait autour, avec feu Hassan II est une autre consécration. Une séquence d’un Récit. Un Récit à jamais gravé dans la mémoire de ceux qui étaient et toutes les Marocaines et les Marocains. Notre mémoire collective.
Depuis, l’icône dont la carrière sportive a dû, « pour des soucis de santé » être écourtée s’est investie dans l’action associative. Au service de la communauté, notamment à travers les actions menées par l’Association Marocaine Sport & Développement.
Mais, avant de décider définitivement au Maroc, parce qu’elle ne peut vivre que sous son ciel, Nawal décroche des diplômes aux États-Unis, dans des disciplines proches de sa carrière. Dans sa carrière. Un acquis pour une femme qui dit que pour réussir il faut 99% de labeur et 1% de chance. Elle en donne la Démonstration.